Énorme révélation pour ce film assez unique, un ovni qui s'impose comme un croisement délirant entre Bunuel, Kafka, le cartoon, l'avant-garde ou encore le burlesque. Ça déborde d'idées géniales à chaque plan.
Vouloir décrire le film revient à un faire l'inventaire de ses expérimentations : animation image par images (feuilles, jouets, peluches), plans passés en vitesse arrière, travelling circulaire, axes de prise de vues audacieux (contre-plongée saisissantes, décadrages, cadre dans le cadre...), décor expressionnistes, maquillages excessifs, déformations de l'image, de l'huile sur l'objectif, gestes des comédiens saccadés, accélérations du montage... Mais le plus étourdissant vient bien fait du collage et de l'association de toutes ses techniques qui s'alternent, se mélangent, se croisent sans réelle justification dans un grand moment d'absurdité surréel où chaque séquence invente son propre langage cinématographique dans une sorte de synthèse de tous les mouvements avant-gardistes cinématographiques du moment même si certaines idées sont empruntés plus ou moins directement à d'autres films comme les sorte de voile en tissu semi-transparent qui séparent les acteurs du décor de l'arrière plan qu'on trouve dans Une page folle par exemple.
Le film échappe à toute logique, à toute prévision : le long cauchemar bureaucratique de la première moitié, la danse folle de l'épouse et de la fille, une statue qui s'insurge qu'on jette des mégots par terre, la colère du "patron" qui transforme les employés en ombres chinoises murales. C'est tellement riche que le cerveau n'arrive pas à tout conserver en un visionnage. Ce surplus est aussi une des limites du film : la première partie est tellement incroyable d'inventions tourbillonnantes que le film ne tient pas toute ses promesses une fois qu'on suit le bureaucrate renvoyé. Une certaine lassitude se fait ainsi sentir avec une bande-son un peu trop répétitif malgré des thèmes musicaux réussis. Durant le dernier tiers, la dimension visuelle, moins brillante, ne suffit plus à compenser la légèreté d'un scénario très mince.


En 1929, l'audace expérimentale de Ma grand-mère a donné de grosses sueurs froides aux autorités qui ont tout simplement décidé de bloquer la sortie du film qui ne fut jamais exploité au grand désespoir de son cinéaste qui s'y était investit corps et âme. Non seulement, il ne tourna plus que quelques films médiocres mais en plus, mais en plus personne ne le prenait au sérieux quand il évoquait la modernité de ce titre muet invisible que personne n'avait entendu parlé. Il finit heureusement par être redécouvert en 1967 et devient rapidement culte pour les nouvelles générations géorgiennes.


PS : le film est aussi connu sous le titre "le piston"

anthonyplu
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste L'URSS des cinéastes (1917 - 1945)

Créée

le 29 déc. 2017

Critique lue 225 fois

2 j'aime

anthonyplu

Écrit par

Critique lue 225 fois

2

D'autres avis sur Ma grand-mère

Ma grand-mère
Serge-mx
2

Comédie superficielle

Ce film est vendu donne un chef-d'œuvre contre la bureaucratie, mais la comédie reste superficielle. Il ne s'agit pas de la bureaucratie au sens politique, mais administratif du terme. On peut dire...

le 5 févr. 2023

Ma grand-mère
JM2LA
7

Le jeu excentrique au sommet de sa rage

Un pamphlet burlesque et hystérique, utilisant toutes les trouvailles techniques qui lui tombent sous la main, pour passer la bureaucratie au vitriol. Dans le style excentrique des années 20...

le 16 oct. 2017

Du même critique

A Taxi Driver
anthonyplu
7

Maybe you can drive my car

L'ancien assistant de Kim ki-duk revient derrière la caméra après 6 ans d'absence. Il porte à l'écran une histoire vraie, elle-même plongée au cœur d'une page sombre de l'histoire sud-coréenne soit...

le 22 oct. 2017

16 j'aime

1

Absences répétées
anthonyplu
9

Absences remarquées

N'ayons pas peur des mots : voilà un chef d'oeuvre déchirant. C'est une sorte de cousin Au Feu follet de Louis Malle avec cette solitude existentielle et son personnage dans une fuite en avant vers...

le 8 oct. 2014

11 j'aime

2

Daisy Miller
anthonyplu
8

Miller's time

Devenu extrêmement rare, cette adaptation de Henry James est pourtant une merveille d'intelligence et d'écriture grâce à la structure du récit et à l"évolution de sa mise en scène au travers de ses...

le 17 avr. 2017

10 j'aime