Dumont: dure ville, rase campagne

Je n'y allais pas animé d'un projet de joie mauvaise, malgré une détestation relativement cordiale de ce que je connaissais du travail du bonhomme. Dumont, pour moi, c'est le type qui était capable de faire deux types de cinéma: du sinistre quand il fait des films sinistres et du sinistre quand il cherche à faire du comique.
Je suis au moins capable de défendre le cinéaste sur un point, une certaine cohérence de l’œuvre.


La difficulté de l'exercice qui s'offre à moi va consister à expliquer en jusqu'à quel point j'abhorre les films (et séries) de Bruno sans m'en prendre à tous ceux, et ils sont très nombreux par ici, qui sont clients du philosophe nordiste. D'abord parce que j'adorerais moi-même être transporté par ses créations atypiques, ensuite et surtout parce que je crois comprendre ce que certains y trouvent.


En occurrence, une grande curiosité était d'ailleurs plutôt de mise. Des éclaireurs estimés y allaient de remarques intrigantes pointant les "les manques, le ridicule ou l’excès" qui "déconcertent autant qu’ils plombent", évoquant un réalisateur qui "trébuche régulièrement", résumant Ma loute comme "un film contraignant, long, embarrassant, même, tant pour les comédiens que l’audace de son auteur", tandis que d'autres expliquaient que "certains films effleurent, le sien s’enfonce". Avant d'ajouter que "D’aucuns manient l’allusion et l’implicite, mais ici le choix est du côté adverse : remplir, redire, jusqu’à l’écœurement" pour expliquer leurs notes stupéfiantes, oscillantes entre 7 et plus.


Depuis longtemps, j'ai intégré que l'ennui pouvait être une composante intéressante d'un film, qui, comme toute œuvre d'art, n'a aucune vocation fondamentale à divertir. Face à la gène proposée par la plus grande partie des scènes du film, l'ennui provoqué par ce qui ressemble fort à un manque de talent de son auteur (je défis quiconque de me citer UN dialogue amusant, ou UNE scène qui fonctionne par elle-même), je ne pouvais me résoudre à interpréter les transports de joie de mes petits camarades que grâce à une hypothèse: l'hypnose.
Le processus on le sait, ne fonctionne que par la grâce d'un rythme propre et un sens affirmé de la répétition que Dumont, sans conteste, maitrise à la perfection.


Et si une des qualités nécessaire pour apprécier cette Loute est la capacité à lire entre les lignes, à remplir les trous béants d'une narration formellement affligeante (à l'exception de sa photo, superbe) je ne peux que me montrer tout aussi circonspect par le fond que par la forme. On évoque Tati ou les Pythons pour décrire le travail du réalisateur, en oubliant sans doute que chez les derniers cités au moins, l'absurde éclate grâce à sa confrontation avec le réel. Existe par le décalage. Ici, la finesse du trait évoque plus Dany Boon que John Cleese. Comment cerner quoi que ce soit quand l'ensemble de la distribution baigne dans la même eau rancie de la caractérisation stupide, qui n'épargne pas un personnage de l'étude sociale ? Seule Billie échappe au funeste jeu de massacre, mais cette exception n'offre rien de plus qu'une androgénénité troublante, mais qui ne dit rien de plus qu'un discours pas tout à fait neuf sur l'inversion des apparences de la normalité. Et s'il faut s'infliger deux longues heures de pénible indigestion pour avaler une si petite pilule, autant dire que le jeu lourd ne vaut pas la chandelle vacillante.


Arraché à l'âge de 7 ans à mes terres sudistes ancestrales pour une décennie picarde pluvieuse, je ne souhaiterais pour rien au monde revivre un exode aussi marquant. Les causes de ce traumatisme sont pourtant sans doute radicalement opposées au tableau que propose l'auteur de Ma Loute. Je garde en effet un souvenir ému des populations locales qui compensaient un langage (certes) frustre (que j'ai mis des mois à comprendre) par une grande chaleur de cœur et d'humanité, loin des facilités convoquant une consanguinité que ne renieraient pas les supporters du PSG. Privé de cette chaleur et de cet humanité, ne reste plus dans le discours qui sort de la manche de ce tragique Mesmer du nord que l'espace grelottant du mépris.


Dumont est un cinéaste glacial.

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le 25 sept. 2016

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guyness

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