Après "P'tit Quinquin", Bruno Dumont pousse encore plus loin dans la recherche d'un univers complètement à part, décalé, mais surtout burlesque et en déniche de véritables petites merveilles.
Aîné d’une famille de pêcheurs aux étranges coutumes, les journées de Ma Loute consistent à... porter les gens voulant traverser la rivière pour éviter qu’ils ne se mouillent. Une activité bien banale, quand on le voit par la suite rentrer chez lui pour manger des bouts d’humains, coutume familiale. Cette nourriture quelque peu hors du commun, il la trouve dans son travail en assommant de temps en temps les personnes qu’il fait traverser, ramenant ainsi à manger chez lui. «Ma Loute » semble alors être un film empruntant à l’horreur, mais par les disparitions que cause Ma Loute en mangeant ses clients fait surtout naître une enquête policière, et avec elle le burlesque. On retrouve l’image du duo de policiers terriblement inefficaces mais dont la chance permet de mener l’enquête à bout. Les policiers sont même applaudis lors de la séquence du dîner festif : Machin est couvert de louanges, qui contrastent avec ce que nous montre l’image : Machin volant dans les airs, attaché à la table par une corde comme un ballon décoratif. Et ce sont bien à des ballons que Machin et son acolyte Malfoy sont comparés : chacun de leurs déplacements sont accompagnés de bruitages de ballons frottés. Dans la dernière séquence du film, alors que la corde s’est défaite et que Machin s’envole comme un ballon dans les airs, c’est en recevant plusieurs balles que Machin est ramené au sol en se dégonflant dans les bruits stridents d’un ballon qui perd son air.
Bruno Dumont mêle à cette enquête policière une histoire d’amour : celle de Ma Loute et de Billie, dont on ne sait si il / elle est un homme ou une femme. C’est d’ailleurs là que se trouve la véritable intrigue du film pour le spectateur qui connait déjà la raison des disparitions, plaçant l’enquête policière au rang de figure purement burlesque. Pourtant, dans ce monde décalé où l’accent est surtout mis sur les personnages, tous plus singuliers les uns que les autres, Billie parait être le plus normal des personnages : ses traits sont clairement féminins et la seule extravagance dont elle fait preuve est de « se déguiser en homme ». Ce n’est qu’en apprenant à la fin que Billie est bien un homme que réside la véritable résolution de l’enquête pour le spectateur.
Par ses cadrages, les décors, les costumes des personnages (l’histoire se passe en 1910), la mise en scène de Bruno Dumont apparait presque comme une pièce de théâtre dans laquelle les acteurs déclament des répliques théâtrales. Les personnages évoluent dans des images légèrement saturées, qui oscillent entre les couleurs que l’on retrouve dans les tableaux du début du vingtième siècle et une image très appuyée sur le numérique, très réaliste, qui les sortent du temps.
Ma Loute apparait alors comme un film atemporel, aux images aussi saturées que la personnalité des personnages qui les composent. Un film burlesque et décalé, qui ouvre en nous une caisse de résonance sur laquelle Bruno Dumont tape et arrive à faire rire, tant par sa mise en scène, par les bruitages, les répliques et le jeu des acteurs !