Comédie dramatique: tel est le véritable genre de Ma loute où la classe sociale n'est qu'une infime frontière, juste révélatrice de la décadence humaine. En ce début de vingtième siècle, des bourgeois du Nord viennent dans leur résidence secondaire et côtoient des gens pauvres qui en apparence gagnent quelques sous avec ces touristes fortunés. La revers de cette réalité est plus sordide et fait enquêter une police locale de deux Dupon*t* (ou Dupon*d*) aussi incapables l'un que l'autre. La bourgeoisie du clan Van Peteghem est à la fois alertée ou inconsciente, selon les membres qui la constituent, par ces incidents morbides. La toile de fond de Bruno Dumont paraît simple mais l'édifice s'avérera vertigineux une fois de plus.
En effet, Ma loute, prolongement presque logique de P'tit Quinquin, ne se contente pas de faire une chronique de cet été 1910 riche en "folles péripéties". C'est surtout une étude subtile de la coexistence entre bourgeois décadents et pauvres devenus prédateurs pour survivre. Bruno Dumont nous met face à face avec des personnages de milieux différents qui fonctionnent en se croisant mais sans se saisir ou s'apprécier. Cette incommunicabilité de mise, entre tragédies et outrances, canalise un mal être social qui enfle crescendo ( de l'invitation de Ma Loute à un repas de famille bourgeois,grotesque et humiliant jusqu'à la procession religieuse qui tourne au vinaigre).
L'histoire en apparence jolie entre Billie et ma Loute est également une valse malsaine où un protagoniste abusera de la candeur d'un autre. Une fois de plus, Bruno Dumont ne transigera pas jusqu'à la dernière image de son film qui a du en déstabiliser plus d'un aux projections du festival de Cannes et dans les cinémas de la France entière. Bien né ou pauvre, l'homme reste prisonnier de son animalité et du milieu qui l'a vu grandir, dans cette histoire du réalisateur.
Tous les acteurs professionnels ( Luchini, Bruni-Tedeschi ou Juliette Binoche) ainsi que les non professionnels ( que Dumont aime faire tourner depuis ses débuts) sont une fois de plus incroyables. Du changement de voix ou de postures pour les uns jusqu'au regards bruts et habités pour les autres, le spectateur est terrassé par cette alchimie particulière de jeux et de gueules qui dévorent la pellicule. Il est aussi obligé d'exprimer des rires jaunes et libérateurs pour ne pas tomber dans l'affliction la plus totale devant cette humanité qui a perdu la carte qu'elle soit nantie ou misérable. Un exercice de recul juste pour ne pas devenir une bête ricanant devant du sordide.
L'épilogue de ma Loute, entre merveilleux onirique déplacé et concerts de gesticulations décalées, fait penser à des scènes de Fellini où la cohérence naît dans un formidable chantier. Même si le pire a été évité pour certains personnages, l'innommable persistera comme un refrain que l'on ne saurait troubler. Encore une claque esthétique ( certains plans de Dumont sont à tomber) et ce désarroi humain et presque inconscient qui marquera longtemps les esprits. Soyez donc toujours avertis avant de pénétrer l'univers de Bruno Dumont.

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le 24 mai 2016

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