Premier long-métrage de Claude Barras, qui depuis plus de dix ans joue de l’animation en courts, sur un scénario de la talentueuse Céline Sciamma, Ma Vie de Courgette suit l’adaptation sociale lente dans la compréhension méfiante du concept de famille, d’un petit garçon traumatisé par une enfance d’isolement et d’abandon. Filmé en stop-motion, l’œuvre assume la simplicité linéaire d’un récit qui expose alors toute la poésie enfantine de visions du monde tronquées par le regard en apprentissage de ses personnages. Un film difficile et tendre à la fois – difficile par ses thèmes, tendre par son approche – leçon de parentalité et d’humanité,



souffle onirique et poétique d’amour pour une forme d’innocence à préserver.



Tandis que sa mère s’enivre de mauvaise bière en se laissant happer par le poste télévisuel de l’oubli, le jeune Courgette, une dizaine d’années, trompe l’ennui en empilant les canettes qu’elle laisse traîner dans son sillage alcoolique. Jusqu’à ce qu’en cherchant à éviter la rouste d’une colère vile, il ne la fasse accidentellement chuter. La tuant sur le coup.
Raymond, policier sensible, le conduit alors à l’orphelinat de Madame Papineau.


Ma Vie de Courgette, c’est la difficile adaptation de l’orphelin à ce nouvel environnement : nouvelle chambre, nouvelle maison, nouveaux camarades aux caractères marqués par leur propre histoire d’abandon, et nouvelles figures paternelles. Le jeune garçon découvre



l’intensité des sentiments,



la puissance d’un baiser sur le front ou celle, tout aussi magique, de l’intérêt qu’un adulte peut porter à ses propres mots. Sans misérabilisme, sans l’ajout inconsidéré du malheur larmoyant, bien au contraire, Claude Barras filme les frayeurs et les appréhensions de l’enfance sur une organisation sociale à laquelle il n’a jamais encore été confronté, et suit alors l’intégration par à-coups du garçon à ce qui devient doucement sa famille. Courgette a du mal évidemment à oublier sa mère et traîne avec lui une vieille cannette vide. Ce n’est pas le seul dans ce cas : presque tous les gamins assument un dérèglement incontrôlable. Ahmed pisse au lit, Alice se cache sous une mèche de cheveux tandis que Béatrice ne peut s’empêcher de sortir accueillir le retour de sa mère à chaque voiture qui vient se garer dans la cour.
Bientôt, une nouvelle arrive, Camille. Et Courgette, commençant de comprendre le schéma à l’œuvre dans chacun de leur parcours, tombe sous le charme. Se laisse apprivoiser sans y prendre garde. Tisse un lien si fort qu’il en pliera sa vieille cannette en origami naval.


Claude Barras, patiemment, manipule caméra et marionnettes pour donner une vie fragile et poétique au scénario si juste de Céline Sciamma – décidément impressionnante quant à son regard sur l’enfance.



Animation douce, séduisante et lumineuse,



contraste bienheureux d’un univers coloré et rieur dessus les parcours de douleurs de ces orphelins, Ma Vie de Courgette propose une suite fluide et attachante de tableaux vivants pour un public de jeunes spectateurs qui se laissera séduire sans hésiter. L’aspect ludique et tendre fait le gage de captation des esprits volatiles : c’est beau, plus que ça même, fascinant – de trois à quatorze ans, mes trois gamins se sont immédiatement laisser happer par l’univers léger et innocent de ces marionnettes de pâte modelée et d’architectures de cartons colorés. Le format court, à peine plus d’une heure, offre la légèreté nécessaire à la respiration, encadre le rythme sans précipitation, et le récit y puise sa puissance poétique : survol narratif où la clé de chaque séquence repose sur



une tendresse inattendue,



jusqu’aux larmes évidentes dans les yeux embués au summum du bonheur conclusif. Tendre et intensément émotif.


Claude Barras livre une œuvre indispensable. Magnifique.
Un nouveau genre de film pour jeunes publics, où le rire et l’humour ne sont pas les moteurs de récits à la morale évidente dans un flot de péripéties incontrôlées – formats américains d’une animation qui éduque son public au cinéma pop-corn – mais au contraire, où la narration prend le temps de développer les détails sensationnels qui construisent ses personnages. Toute la poésie du métrage repose là, dans ces affrontements sans détour à la vie dans le regard en construction d’enfants qui commencent de comprendre qu’ils ne peuvent façonner le monde mais que le cœur, l’ouverture et la bonté sont les angles d’insertion qui l’arrondissent. Loin d’être un légume, le jeune Courgette partage son histoire pour nous dire



l’innocence qui se préserve dans le rêve et l’espoir.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 4 févr. 2017

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