Comme quoi, on peut porter un tabouret sur la tête et rester classe
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Dès les premiers plans du film, Orson nous plonge la tête la première dans les marmites bouillonnantes des trois sorcières aux mauvais présages.
En nous cernant par l'image de leurs bouillons qui se consument, et par le son de leurs voix stridentes ignobles qui déchirent les tympans, Orson nous dit clairement "Bienvenue dans l'enfer de Macbeth!"
On a là un film assez extraordinaire, spectaculaire, furieux, très resserré, où il ne sera laissé aucun répit. A partir du moment où MacBeth franchit le point de non-retour (et ce très rapidement dans le récit), c'est fini, le sang va couler, et le malheur ne cessera de s'abattre.
Dans la version de Kurosawa, au contraire, le film est était beaucoup plus dilaté dans le temps, plus calme, plus psychologique, bien moins spectaculaire. Plus réaliste aussi.
Orson fait dans le grand spectacle, l'épopée, la tragédie, dans le théâtral assumé aussi, c'est donc très différent, et finalement très complémentaire. On a deux films qui n'ont rien à voir avec une trame pourtant très similaire qui ont leurs propres avantages et inconvénients selon les goûts des spectateurs.
Ici, tout est superbe, tous les plans sans exception sont ultra travaillés. Le décor extraterrestre est totalement irréel, et participe à la création d'un univers caverneux, pesant (dans le bon sens du terme, car c'est une pesanteur qui immerge, mais qui n'exclut pas en étant barbante). La photo du film est évidemment est grandiose, avec un boulot sur les ombres et les contrastes absolument hallucinant.
Tout est parfaitement rôdé de A à Z, les comédiens sont géniaux (j'ai rarement vu Orson aussi investi et déchaîné dans un rôle), fluide, évident, brillantissime, entre autres exemples :
- Les plans où les capes des personnages en mouvement finissent par recouvrir complètement le cadre pour faire le cut, hyper méga classe !
- Le tranchage de tête final en montage alterné avec une poupée vaudou
- Les plongées furieuses sur les personnages cernés par l'obscurité
- La montée en puissance incroyable dans le final du film, avec des duels à l'épée qui ringardisent complètement les milliers de tentatives de Michael Curtiz. J'ai même trouvé le final du film carrément plus kiffant et jouissif que le laborieux siège du Gouffre de Helm dans "Le seigneur des anneaux, les deux tours".
Violent, poisseux, acharné, on tient là une oeuvre majeure, qu'on pourrait ranger sans problème au rayon des grands films d'héroic fantasy, comme si on y trouvait déjà les vestiges du futur "Excalibur" de John Boorman, dans le côté kitsch grandiose assumé.
Et pourtant la réussite n'allait vraiment pas de soi.
Le début du film est inquiétant :
1h55 de Shakespeare fidèle jusque dans les dialogues abscons, c'est pas simple.
Faut les digérer les répliques. Elles sont quand même bien capillotractées parfois.
Surtout, le film va tellement vite au début, dans le déroulé des événements, qu'on peut se noyer, et ne rien piger du tout.
Heureusement, il finit par trouver son rythme de croisière, et devenir un véritable régal jouissif comme pas permis, pour laisser la trace d'une oeuvre marquante, très franchement au niveau de Kane ou de la Soif du mal.