Valhalla rising
L’odeur putride de la mort envahit Macbeth dès sa première séquence. Mort à qui on couvre les yeux sous les ténèbres d’une Ecosse vide de cœur, à l’horizon de ces longues plaines neigeuses. Justin...
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le 19 nov. 2015
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Celui-là je l'attendais de pied ferme, non sans appréhension par ailleurs.
Adapter Shakespeare reste une entreprise délicate, bien que fort judicieuse à mon sens, et la chose est d'autant plus risquée lorsque comme c'est le cas ici, on décide de conserver le texte original dans son ensemble. Les possibilités de mise en scène sont immenses, c'est certain, et l'idée est grisante de procurer à une oeuvre aussi emblématique une atmosphère concrète en plus d'en retranscrire toute l'intensité par le biais de plans aussi divers qu'une caméra le permet. Pour autant le rythme, la consistance et le discours propres au théâtre sont autant d'obstacles de taille.
Auparavant dans ce même exercice, Orson Welles avait pris le parti de préserver l'espace unique propre au théâtre et bien que la caméra ait pu offrir une tension typique à son Macbeth, on perdait dans le même temps le précieux rapport quasi-charnel, et en tout cas sensoriel, entre la scène et le spectateur qu'offre un théâtre. (Je ne parlerai pas ici de la version de Polanski puisque je ne l'ai pas encore vue.)
Venons-en au fait. Ce Macbeth nous frappe d'emblée par son esthétique maîtrisée : la bataille du début, les rituels qui s'y rapportent, l'apparition des sorcières au beau milieu du carnage et l'omniprésence de la brume, tout est beau, parlant, et pour qui a eu le loisir de se pencher un peu sur la pièce, il apparaît évident que Kurzel est imprégné avec justesse de son univers bien particulier.
Cette réussite esthétique nous tient en haleine un bon quart d'heure durant, secondée par des acteurs doués et concernés (j'y reviendrai) et par l'Ecosse elle-même (idem).
Puis s'installe une lenteur un peu pénible, une forme de ralenti général. D'ailleurs Kurzel abuse du procédé mais au-delà de ça la profusion de gros plans silencieux où chaque mimique, chaque tressaillement est scruté en silence, la musique quelque peu insistante vis à vis de la tension dramatique et cette sorte de flegme maladif où sont prostrés les personnages nous assomme peu à peu.
On se dit alors que le mec s'est planté même s'il reste un certain nombre d'éléments pour nous tenir assis et attentifs :
Ô Flower of Scotland !! L'Ecosse est irréprochable. Actrice majeure du film elle tient toutes ses promesses, sublime d'un bout à l'autre, surprenante, ébouriffante, inquiétante, galvanisante...
Elle traduit sans cesse par ses paysages burinés et désertiques le chaos qui règne sur le film et plus particulièrement sous le crâne de son héros. Ces gigantesques landes exposées à des cieux torturés sous lesquels le vent court sans entrave, et vient se déchirer sur quelques pitons de roche noire qui éructent du sol ça et là comme des crocs usés qui transpercent la chair du monde. Et la brume, cette brume qui, inlassablement revient peupler ces terres comme pour cacher au monde le drame qui s'y tient.
Ah, on comprend mieux pourquoi les romains ont jamais réussi à emménager...
Passé cet aspect primordial, on est aussi retenu par la qualité des interprètes. Si Marion Cotillard campe une Lady Macbeth convaincante mais pas franchement mémorable, Fassbender lui, donne toute sa mesure, et si on omet les soucis de rythme dont j'ai parlé plus haut et qui, à mon avis, tiennent plus de la direction d'acteur que de sa propre initiative (mais c'est un ressenti je peux me tromper hein..), son Macbeth dégage une intensité salutaire, à l'image d'ailleurs de ses camarades Scots. Par ailleurs il se montre à la hauteur du texte monumental avec lequel il compose.
Le texte, justement, c'est l'avant-dernier point que j'aborderai dans cette énumération des forces du film. Que dire qui n'ait déjà été dit ? Shakespeare est inimitable. Personne ne sait comme lui mettre du poids dans l'air que respire un comédien, personne ne sait comme lui faire danser les mots entre eux pour qu'à la fin, quand celui qui les dit se tait ou reprend son souffle, ils forment dans nos têtes des images prodigieuses où le sens est infiniment plus présent et plus entier que dans n'importe quel dialectique habituelle. Bref, j'aime William Shakespeare, et je crois que Fassbender aussi.
Malgré toutes ces choses si superbes soient-elles, il demeure cette lenteur, ce faux-rythme un peu lourd, presque too much en somme, et bien qu'on reconnaisse ses qualités, on a du mal à saluer franchement ce Macbeth. On se dit alors qu'on avait raison de craindre, qu'une fois encore, en dépit d'un travail honnête, d'un vrai sens esthétique, d'une bande d'acteurs doués, d'une toile de fond somptueuse et d'un texte de génie, la sauce n'aura pas réellement pris, et on se met à penser que ce n'est peut-être pas faisable, qu'il faut un théâtre pour faire vivre Macbeth, et qu'un cinéma ne peut pas faire l'affaire...
Mais souvenez-vous, j'ai dit un peu plus tôt que j'énumérai l'avant-dernière force de ce film. Eh bien nous y voilà, Justin Kurzel a en effet gardé un atout dans sa manche, et vraiment pas des moindres : Le final.
Ce Macbeth est l'un de ses films dont la seule fin parvient à vous faire pardonner une grande partie des défauts du film. Mais c'est ici d'autant plus étonnant et louable que cela ne vient pas d'une quelconque forme de happening scénaristique, de révélation ou de volte-face final qui donne tout son sens au reste. Non, tout le monde (enfin beaucoup de gens) sait parfaitement comment se termine cette histoire-là mais le réalisateur nous offre un dernier quart d'heure tellement cinématographiquement jouissif et théâtralement juste à la fois (par rapport à la thématique du texte de Shakespeare j'entends) qu'on en reste un peu sonné. On se dit que Fassbender est le mec le plus chanceux du monde pendant dix minutes et que Justin Kurzel est définitivement pas con quand il tient une caméra (et une dernière fois que Shakespeare est un dieu !).
Voilà comment le 'Macbeth' de Kurzel passe de 'travail propre mais un peu fade' à 'film à voir même s'il faut s'accrocher'. Et comment on se prend à rêver à ce que pourrait être ce film si l'ensemble ne faisait qu'approcher la qualité de safin.
Pour finir j'ajouterai que si vous ne connaissez pas ou peu la pièce de Shakespeare, vous trouverez peut-être un supplément d'intérêt au film, souffrant moins d'une forme de lassitude dans le milieu du métrage.
Sur ce je m'en vais penser à mon futur nouveau périple en Calédonie, sur les traces de Macbeth et de ses ancêtres. Oidhche mhath !
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le 20 nov. 2015
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