Très visible pendant les années 90, le cinéma de Hong Kong a peu à peu disparu de nos écrans français au XXIe siècle : pénurie de talents après des décennies de triomphes ? Déplacement de l’intérêt des cinéphiles et du public vers le cinéma coréen ? Ou bien, pire scénario possible, asphyxie de la culture hongkongaise par la nouvelle puissance dominante, la Chine populaire ? En tous cas, on nous présente depuis peu Soi Cheang comme ce qui se fait de mieux à Hong-Kong, sans nous avoir montré grand chose de son cinéma : Limbo est sorti l’année dernière et ne nous a pas convaincus, loin de là. Mad Fate est sorti cette semaine, et City of Darkness est prévu pour août. Trois films seulement pour une filmographie qui en compte une vingtaine au cours des vingt dernières années, c’est peu ! Qui plus est, Mad Fate est une production Milky Way, le studio de Johnnie To, et évoque fortement le Mad Detective de ce dernier (mélange barré de polar et de surnaturel)… au point que l’on peut se demander au départ quelle est la part de Soi Cheang dans le projet.
Mad Fate, c’est l’histoire de quatre personnages dont le destin malicieux entremêle les trajectoires, jusqu’au désastre et à la folie. Le premier est un serial killer dont les instincts meurtriers s’éveillent quand des pluies diluviennes s’abattent sur la ville. Le second est un maître de feng shui qui prend très à cœur ses visions sur le futur de ses patients, au point de se mettre lui-même en danger mentalement afin de déjouer le destin qu’il entrevoit pour ses patients / clients. Le troisième est un jeune homme sérieusement perturbé depuis son enfance, qui a du mal à contenir ses désirs meurtriers. Le dernier est un policier proche de la retraite qui a persécuté le jeune homme toute sa vie, persuadé qu’il est qu’on ne peut changer sa nature profonde. Réunis par le hasard autour du meurtre d’une prostituée, ces quatre personnages vont se débattre dans un chaos croissant, avec pour seul but de la part des scénaristes d’illustrer la réalité ou non du libre arbitre !
Oscillant en permanence entre burlesque – pas loin du grotesque, comme dans l’impressionnante scène d’ouverture (et on ne parlera même pas de l’invraisemblable chat noir en CGI) – et ultra violence, déployant une formidable inventivité au niveau visuel (pas mal d’images magnifiques !) et mise en scène, Mad Fate est lui même un « mad movie », en en faisant régulièrement beaucoup trop pour son propre bien. Et en nous épuisant progressivement au fur et à mesure qu’il accumule les scènes radicales…
Le parcours du maître de feng shui, interprété par l’excellent Gordon Lam est un bon exemple de la trajectoire malheureuse de Mad Fate : il nous fait rire et nous touche pendant une bonne partie du film, avant que son basculement dans la folie ne se révèle plus irritant qu’autre chose (« Je suis une fleur ! « ). Si l’on se souvient de Limbo, force est de constater que se répète ici le même manque de jugement dans l’exacerbation inutile des effets, ce qui ne nous rassure pas sur la maîtrise de Soi Cheang, virtuose excessif et incontrôlable.
Attendons néanmoins City of Darkness pour confirmer ou infirmer cette opinion !
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/07/22/mad-fate-de-soi-cheang-destin-ou-libre-arbitre/