De la volonté d'un metteur en scène à l'imagination et l'optimisme débordants, est assurément née la nouvelle référence du cinéma d'action. Après quinze années de réflexion et de maturité, George Miller conçoit, avec Mad Max : Fury Road, la course-poursuite la plus dantesque et hallucinée du 7ème Art. Les scènes qui ont fait le nerf de sa saga sont ici décuplées pour rendre les deux heures de film totalement démentes. Et, contrairement à ces blockbusters qui alternent action pure (pour exhiber leurs SFX) et (trop) longs temps morts, ce Fury Road ne s'arrête jamais, et se construit dans la déferlante nerveuse de son rythme effréné et crescendo, laissant intrigue et action évoluer de concert. De concert, il en est d'ailleurs clairement question ; il s'agit même d'un opéra post-apocalyptique grandiose. Musicalement, Tom Holkenborg (aka Junkie XL) participe indubitablement à cette ambiance furieuse, agençant ses percussions puissantes et fiévreuses à la symphonie diégétique des carcasses de métal, rythmée par les riffs électrisants d'un guitariste fou et d'un quatuor de batteurs tambourinant des hymnes tribaux sur un mur d'enceintes lancé à vive allure dans cette poursuite pharaonique.
Et ce maelstrom démesuré bénéficie d'une réelle direction artistique. Chaque plan est sublime, composé à la perfection, magnifié par une photographie et un étalonnage des couleurs dignes de toiles de maîtres. Aucune seconde n'est laissée au hasard ; Miller a peaufiné chaque instant - même le plus anodin - de son œuvre pour en faire une merveille de mise en scène, de symétrie, de cadrage, et de frame rate (accélérant les scènes simples et ralentissant les plus complexes). Avec cet environnement désertique post-apocalyptique, aux couleurs parfois vidéoludiques - que n'auraient pas renié Ang Lee, ou Zack Snyder - Mad Max : Fury Road est un festin visuel, filmé avec une rare maestria, que ce soit dans les plans larges à tomber, ou au cœur même de l'action chaotique, toujours admirablement compréhensible. Cette mise en scène irréprochable permet une conversion 3D parfaite, à la profondeur phénoménale (des étendues sableuses à perte de vue, l'impression d'être passager de ces bolides en guerre,...) et à la netteté vivifiante. Même avec ce montage dynamique hallucinant pendant des trentaines de minutes, on ne peut déplorer aucun flou, ni crosstalk, ou autre artefact inhérent à la stéréoscopie, qui vient gâcher cette incroyable sauvagerie visuelle.
À l'heure où les blockbusters numériques - souvent de piètre qualité sous couvert de faire du spectaculaire - tentent de s'imposer comme la norme du divertissement, Miller use d'effets spéciaux pratiques, et crée un ballet acrobatique d'une virtuosité incomparable. Dans ce Mad Max, il n'y a pas de destruction mondiale, mais tout y est authentique (enfin, à 90%) et viscéral ; les lois de la physiques sont tangibles, les explosions ébouriffantes, et les cascades renversantes et uniques. Le réalisateur australien parvient à capter la beauté intrinsèque à toute cette ferveur haletante. Malgré une action omniprésente, on se prend d'empathie pour ces personnages qui veulent juste survivre, et doivent rester forts. Il n'y a pas d'amourette, ni de faux sentiments, les dialogues sont minimalistes, et l'image parle d'elle-même. Pour autant, chaque phrase n'est pas un one-liner, et l'humour - parfois bien noir - sait être présent et opportun. Les acteurs sont totalement investis et mis à rude épreuve, à l'instar du War Boy illuminé qu'interprète Nicholas Hoult. Max n'est finalement pas le personnage principal, en dépit d'un Tom Hardy très juste en animal solitaire coriace, mystérieux, mais toujours humain dans le fond. Il se retrouve simplement entraîné dans cette chevauchée infernale, menée par Furiosa, sous les traits d'une Charlize Theron impressionnante de hargne et de charisme. Même les persos secondaires apparaissent travaillés et variés dans leur comportement (Immortan Joe, Rictus Erectus).
Car George Miller ne se contente pas de revenir à son univers d'il y a trente ans ; il le réinvente, l'enrichit à l'extrême et le transcende de créativité. Le monde, dans Mad Max, a changé. La civilisation a régressé, dominée par des bandes de barbares endoctrinées qui se battent pour l'eau, le pétrole, et autres convoitises insolites. Chaque ruine du passé sert de fondement à ce nouveau mode de vie. En ce sens, les accessoires, costumes et designs, la récupération de vestiges métalliques dérivés de leur emploi originel - tout est bon pour faire un arme, renforcer un véhicule ou raccommoder un infirme - ou même les principes de ces civilisations, leurs traditions et croyances, ou la novlangue de ce futur primitif (mention à la VF pour avoir su en rendre les nuances si délicieuses), abondent d'une richesse de détails et de symboliques ; tout a une histoire, une logique pleinement réfléchie. C'est une nouvelle mythologie méticuleuse et complète, poussée à son paroxysme. Après tout, le réalisateur a participé à façonner ce post-apocalypse froid et désolé au cinéma. Dans la même franchise, il revient désormais à contre-courant, avec une vision novatrice du genre, désormais coloré et à la beauté sans équivoque, mais tout de même déjanté et suintant une violence impitoyable.
Ce Mad Max : Fury Road, c'est un cinéma d'action opulent et déchaîné comme l'on en a rarement vécu. Le film regorge d'énergie, et se révèle bien plus épique et féroce que ses bandes-annonces. C'est un tour de force rafraîchissant dans un genre qui n'était devenu que blagues potaches et effets numériques bien souvent plus excessifs que crédibles. Ce long-métrage revient à l'essence du film d'action, s'assumant tel qu'il est, prenant la dégénérescence de la civilisation humaine comme leitmotiv, et ne prétendant pas philosopher sur des thèmes qui dépassent son format. George Miller réinvente tous ces/ses codes, dans un univers post-apocalyptique poussiéreux fourmillant d'inventivité et d'originalité, résolument spectaculaire, Rock’n’roll et jouissif, et assène ainsi une sacrée leçon de cinéma.