Les lumières se rallument dans la salle. Le générique défile tranquillement, l'air de rien, presque goguenard. Comme s'il s’enorgueillissait de voir l'hébétude des spectateurs qui, deux heures auparavant, étaient confortablement installés dans leurs sièges et qui sont désormais décoiffés et complètement paumés. Deux heures de folie, deux heures de sang et d'acier, de moteurs boostés à la nitroglycérine, de War Boyz endoctrinés par le charisme d'un leader vieillissant.
Pendant deux heures, le spectateur a mangé du sable, il a goûté à la fureur d'un monde gangrené par la pénurie d'eau et de terres fertiles, un monde hostile où les pires sévices sont commis et où personne n'est épargné. Ce monde c'est celui d'Immortan Joe, despote de la Citadelle, entouré de son harem de "pondeuses" et de ses War Boys fanatiques. Mais une étincelle vindicative vient briser la suprématie d'Immortan Joe : c'est Furiosa, une femme marquée par la rigueur du temps et du monde, porteuse d'espoir, de remords et d'un bras mécanique. Une flamme vient en aide à l'étincelle, mais c'est une flamme vacillante, tremblante, presque soufflée par ses visions du passé : Max, loup solitaire dérangé et taciturne. De ces trois personnages, l'intrigue se déroule d'elle-même en une course poursuite effrénée vers l'espoir et la mort.
Fury Road est un blockbuster, aucun doute là-dessus, mais c'est surtout un blockbuster intelligent : je n'ai pas eu l'impression d'être un imbécile venant regarder un amoncellement de testostérone, d'explosions et de femmes à moitié nues et pas farouches. Ici, la laideur est permanente et inhérente au film lui-même : elle touche le physique des personnages, leur mental aussi (Furiosa libère quand même des femmes du harem d'Immortan Joe qu'il considère comme sa "propriété" et qui n'ont que deux intérêts, leur fécondité et leur lait) et le monde lui-même. Et pourtant, la beauté est imbriquée dans cette laideur : la photographie est superbe, certains plans sont magnifiques et hors du temps (la traversée des marais est stupéfiante), la musique est jouissive au possible (sans parler de la mise en scène magnifique, mention spéciale au guitariste "enflammé"). Miller exploite tout ce qui fait un bon blockbuster : du grandiose, de l'action, des cascades, des acteurs badass.
Fury Road est l'exemple du blockbuster qui fonctionne à tous les niveaux, offrant un divertissement complet mais pas innocent, et propose même une leçon de cinéma. Par exemple : dans un mauvais blockbuster, la présentation d'un tyran se fait par une voix off, des plans en contre-plongée du bonhomme en question et j'en passe. Ici, rien de tel, pas de voix off et un enchaînement de plans sur les apparats que revêt Immortan Joe avant de s'avancer vers la foule qui scande son nom avec frénésie. Ce que la caméra montre, ce sont des artifices pour cacher la décomposition du corps du leader, ses difficultés respiratoires ; ce que la foule voit c'est un homme porteur d'un masque de terreur dont la voix suffit à le classer au panthéon des méchants les plus badass de l'histoire du cinéma. Un blockbuster intelligent je vous dis, et ce n'est même pas un oxymore !