Rarement j’ai attendu un film comme j’ai attendu Mad Max Fury Road. Je ne suis pourtant pas de ceux qui ont grandi avec cette saga, que j’ai découvert assez tard et que je n’ai pas immédiatement apprécié à sa juste valeur. Mais des premières photos aux bandes-annonces, chaque nouvelle image promettait du jamais vu en terme de spectacle et de mise en scène. C’est donc avec énormément d’excitation que je me suis rendu ce jeudi 14 mai à la première séance de la journée à 14h pour le découvrir. 24h plus tard, je sortais de ma troisième vision du film avec encore des étoiles dans les yeux. Alors oui, vous êtes prévenus d’emblée, la critique qui va suivre ne sera pas dans la retenue et je ne vais pas tarir d’éloges car Fury Road est bien une réussite qui a dépassé toute mes espérances, un grand film d’action, un grand film tout court même, comme je n’en avais pas vu depuis bien longtemps !
En ces temps où la majorité des blockbusters ne sont que des suites, des remakes, des reboots et des suites de remake et des préquels de reboot, voilà qu’apparait Mad Max Fury Road. Une suite aussi donc, le quatrième épisode d’une franchise née en 79 devant la caméra de George Miller. Le cinéaste australien nous invite à nouveau dans l’univers post-apocalyptique de Max Rockatansky, un flic devenu justicier après le meurtre sauvage de sa famille dans un monde devenu fou où l’eau et l’essence sont les plus précieuses richesses et les causes des guerres. Il faut savoir que vous n’avez pas besoin d’avoir vu les précédents films de la saga, car chacun d’entre eux crée sa propre mythologie autour de cet anti-héros devenant malgré lui le protecteur des plus faibles. Ainsi Fury Road est certes une suite, mais une suite qui ne ressasse pas son aura culte pour plaire au spectateur tout en le réconfortant dans un cocon de nostalgie 80’s mais qui, au contraire, nous présente un monde original avec des personnages et des codes inédits.
Cette civilisation, nous allons la découvrir non pas par des scènes d’exposition où les dialogues nous expliquent chacun des enjeux et des rouages de cet univers, mais tout au long d’une course-poursuite de 2h où l’action et les interactions seront le principal langage de George Miller pour nous raconter cette histoire. Certains vous diraient que Fury Road n’en a pas, pensant que l’absence de dialogue correspond à une absence d’intrigue, confondant récit simpliste et récit simple et oubliant qu’une structure linéaire n’empêchera jamais un film d’avoir des thématiques profondes et des figures héroïques fortes et incarnées.
Entre un homme réduit à l’état d’animal à la recherche de son humanité, littéralement muselé pendant presque la moitié du film et hanté par les morts qu’il n’a pas pu sauver, une femme au passé lourd lui ayant permis de s’imposer dans une dictature qu’elle réprouve par nature et dont elle cherche désormais à s’extirper, la remise en question d’un soldat à moitié vivant traité comme de la chair à canon à qui l’on a promit un faux paradis, ou encore un tyran qui s’est lui-même érigé en prophète en privant son peuple de biens élémentaires et séquestrant les plus belles femmes dont il espère en tirer une descendance parfaite afin de mériter un statut d’immortel qu’il s’est déjà octroyé dans son patronyme, on ne peut pas dire que le film manque de consistance. Quand à l’univers qui les entoure, il est juste démentiel, mis en image par une superbe direction artistique détaillée nous présentant une société tournant autour du culte des véhicules, et une galerie de personnages totalement barrés, où même les plus en arrière-plan deviennent inoubliables (comme cet incroyable guitariste, le Doof Warrior, et son instrument lance-flamme), et dont les pratiques et les répliques mémorables sont déjà entrées en force dans la culture populaire. Fanatisme religieux, féminisme, écologie… autant de sujets universels, de parallèles avec notre monde, développés non pas au travers d’échanges verbaux mais par de l’action virtuose, des plans évocateurs, des rapports de force ou même de simples regards entre les protagonistes, préférant au discours intellectuel un parcours émotionnel et viscéral qui choisit de s’adresser à l’humain plutôt qu’à l’égo. Il en émane un propos puissant et, contre toute attente pour un film de ce genre, progressiste et rempli d’espoir.
Il est peut-être encore tôt pour décerner à Fury Road le titre de plus grand film d’action de tous les temps, mais il en est pas loin. Le spectacle est l’un des plus impressionnant que l’on ait pu voir au cinéma ces dernières années, à tel point qu’il est difficile de se souvenir à quand remonte une œuvre de cette ampleur (moi qui vous disait du bien de Fast & Furious 7 le mois dernier, sachez que je l’ai désormais oublié). On le doit tout d’abord aux cascades réelles effectuées sur le plateau, tellement folles qu’il est surprenant (mais bien heureux) que personne ne soit mort pendant le tournage. Entre les perchistes qui se déplacent de voiture en voiture, les motards sautant par dessus un camion en lui lançant des grenades, les explosions dans tous les sens, et j’en passe, tout ici fait vrai malgré quelques incrustes visibles par-ci par-là.
Mais la véritable clé de voûte de ce spectacle n’est autre que la mise en scène du vétéran George Miller qui, à l’âge de 70 ans, vient de mettre à l’amende tous ceux qui se sont aventurés dans le cinéma d’action ces dernières années en donnant à ses collègues une grande leçon de cinéma avec son découpage parfait, hallucinant tant chaque plan, chaque mouvement, chaque raccord semble pensé à la fois pour que le spectateur soit constamment au courant de ce qu’il se passe à l’image, mais aussi conscient des enjeux, des dangers en cours et de ceux à venir. La gestion de l’espace est totalement maitrisée, à tel point qu’on apprend à connaitre le camion dans lequel on passe la plus grande partie du film dans les moindres recoins (et oui, c’est important). Les compositions, la profondeur des cadres et la lumière du directeur de la photographie John Seale sont magnifiques, bluffantes et fourmillent de détails, toujours encore une fois au service de l’action qui elle-même, rappelons-le, est au service de l’histoire. Ainsi, une cascade peut être l’illustration d’un dogme, un combat à mains nues peut nous raconter une rencontre, une fusillade peut être le début d’une coopération… Il faut dire que le film n’avait pas de scénario mais un storyboard dessiné par Brendan McCarthy, auteur de comics, qui est par conséquent crédité à juste titre en tant que co-scénariste. Une narration visuelle qui ramène Mad Max à une forme de cinéma pur comme on n’en voyait plus dans les blockbusters.
Sur ces images s’ajoute la musique du compositeur Tom Holkenborg connu sous le nom de Junkie XL, également l’un des protégés de Hans Zimmer. On reconnait d’ailleurs son style très bourrin, on peut aussi lui reprocher d’être parfois un peu encombrant, mais les percussions de Holkenborg s’harmonisent parfaitement avec le rythme trépidant des poursuites et des carcasses de voitures qui s’entrechoquent, et sont même parfois littéralement synchronisées aux coups et aux collisions. On appréciera aussi la manière dont le son la guitare du Doof Warrior et les tambours qui l’accompagnent se greffent sur la bande originale, ainsi que les envolées dans les séquences plus dramatiques qui, à défaut d’être subtiles, font du film un véritable opéra post-apocalyptique.
Je ne peux finir sans parler du casting. Pour éviter les répétitions, je le dis tout de suite, tous les acteurs débordent de charisme. A commencer par Tom Hardy qui, même si il ne nous fait pas oublier Mel Gibson qui fut Max Rockatansky avant lui, insuffle toute l’animalité et l’humanité nécessaire à cette incarnation du justicier. Mais il se fait parfois éclipser par une Charlize Theron déchainée, portant toute la douleur de son personnage dans son regard, faisant de Furiosa une inoubliable héroïne de cinéma. Nicholas Hoult interprète un être attachant dont on peut lire l’innocence dans les yeux, même dans ses moments de fanatisme. Hugh Keays-Byrne, déjà présent dans le premier Mad Max, se présente comme un bad guy d’envergure, imposant et menaçant. Je pourrais prendre un à un chaque personnages, mais ça va durer longtemps, les femmes d’Immortan Joe, chacune définit par un trait de personnalité fort, les vilains tarés, les War Boys, les Vuvalini tout le monde excelle et en impose dans ce décor désertique.
Depuis la première trilogie Mad Max, George Miller s’est aventuré dans différents genres. Le film fantastique avec Les Sorcières d’Eastwick et le drame avec Lorenzo, deux excellents films à découvrir (faites attention pour le second cependant, c’est très dur émotionnellement). J’ai un gros coup cœur aussi pour son Babe 2 et les Happy Feet (oui c’est bien lui qui les a réalisé), le dernier étant un grand film d’animation sous-estimé que je vous recommande fortement. Mais avec Mad Max Fury Road, c’est un retour en force impressionnant du réalisateur australien, un spectacle qui n’est pas simplement bon mais dont la réussite artistique nous révèle à quel point la plupart des blockbusters modernes sont des œuvres fades et feignantes. Alors si ce n’est pas encore fait, faites-vous une faveur et foncez voir cette date dans l’histoire du cinéma, le premier chef d’œuvre de 2015, oui j’ai bien dit chef d’œuvre, et nourrissez le bon loup en préférant un film qui ne peut qu’inspirer chacun d’entre nous au meilleur de nous-même.
Julien vs The Movies