De l'original, il n'y a quasiment plus rien. Ou du moins, il y a tout, mais avalé, digéré, et régurgité. Les réminiscences de Max, lors de flash back éclairs (pléonasme étymologique je vous l’accorde, mais le « Flash » a ici tout son sens), suites d'images explosives et extrêmement courtes, semblent tirées directement du Mad Max original: la mort de l'enfant, les gros plans sur les yeux sortis des orbites, etc...


L'univers post-apocalyptique est là, évoqué en surface sans prendre la peine de s'encombrer d'un scenario inutile qui alourdirait le propos. Un récit allusif qui prend la forme d’une rotation, d’une avancé rectiligne et irrésistible qui rappelle Snowpiercer.


Pourtant, l'écriture est d'une grande richesse. Les personnages, le background, la peinture d'une société réduite à la primitivité trouvent leur place dans la ritournelle narrative hyperactive et creuse de Mad Max Fury Road. Dans ce surplus d'action, à la limite de l'overdose d'adrénaline, point de place pour les explications. Une scène en début de film résume tout avec virtuosité et efficacité : Immortan Joe, élevé au rang de dieu immortel, contrôlant la population prolétaire par l'eau, tandis que lui, ses proches et ses sbires, jouissent de privilèges. L'homme post apocalyptique retourné à son état primitif, emprunte comme premier processus de civilisation l’adoration divine stupide. Retour au début, nouveau déclanchement du cycle de civilisation, qui passe, comme l’a déjà démontré Norbert Elias, par une régression de la violence sociale. Le propos n’est pas nouveau, mais Mad Max Fury Road reprend le flambeau avec malice, tant le chemin vers un retour à la société moderne semble long, et en même temps si proche (voir les innombrables véhicules, entre huttes primitives et bolides surpuissants). Les sbires de Joe, eux aussi englués dans l’adoration divine aveugle, le suivent avec docilité, certains d'atteindre l'immortalité promise. Mais Joe est également le détonateur narratif, celui qui daigne, dans sa bienveillance, laisser le récit exister, et le film déployer toute sa panoplie spectaculaire.


C'est comme si on l'entendait hurler, « Je vous le dis mes frères, dans ce montage effréné, dans cette folle course poursuite, chaque plan, chaque personnage, chaque détail diégétique, aura son heure de gloire et son utilité dans le récit : l'arbre, le guitariste, le gros pied, le moteur, le sable, l'eau, la fureur, le bruit. » Chacun entraîné, aspiré dans cette route infinie, dont l'intérêt même est de toujours enregistrer un mouvement. Mouvement infaillible, indéfectible, quitte à générer des invraisemblances scénaristiques : pourquoi Furiosa n'a pas détaché l'essence quand les Bikers le demandaient? Pourquoi les héros ne contournent-ils pas les montagnes pour éviter le conflit avec les poursuivants (il y avait de l'essence pour 160 jours) ? Evidemment, tout simplement pour perpétuer la logique du mouvement.


Mais aussi pour mettre en valeur Max, qui n'est plus réellement "mad". Il n'est plus le Mel Gibson furieux entraîné dans une furie destructrice (Le Mad du titre désigne plutôt le personnage de Charlize Theron, Furiosa, qui veut dire en espagnol... vous avez compris). C'est désormais un chien errant, grognant, aboyant presque, lancé à toute allure comme un animal courant après des voitures. Sans but, si ce n'est avancer, toujours avancer pour survivre et suivre la cadence du progrès, de son infernale et infaillible mécanique. D’ailleurs, à la fin du film, il ne reste pas. Tel un cowboy solitaire, il repart vers d’autres horizons.


Dans cette oeuvre mettant en scène la Modernité dégénérée, Georges Miller ne s'est pas trahi avec son remake. Il a gardé la réalisation nerveuse et hyper dynamique (voir même hyperactive) du premier opus, sa logique de scénettes déconnectées, sa narration presque sans but (le Mad Max original avait un goût d'inachevé, s'arrêtant brutalement sur le gros plan de Mel Gibson, roulant à toute allure). Il y aura sûrement à redire sur ce film, mais en mettant en image avec courage une route surpeuplée de dangereux nomades, il s'attaque là à un symbole de la modernité cinématographique, qui a pourtant fait les beaux jours de l’âge d'or, du classicisme américain, puis plus tard du mouvement de contre-culture (devenu même par la suite la norme classique), et ceci dans le cadre d'un Blockbuster hollywoodien (Mad Max original étant australien). Chapeau, tout simplement

Alain_Zind
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le 28 mai 2015

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