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Chant de cygne d’Akira Kurosawa, « Madadayo » est pourtant l’une des œuvres parmi les moins citées du cinéaste. Avouons d’abord : difficile de voir d’un œil attrayant cette histoire inspirée de l’autobiographie d’un ancien général, et suivant un professeur d’allemand, Mr. Uchida, prendre sa retraite tandis que le Japon est plongé dans le chaos de la Seconde Guerre Mondiale. On le voit déjà, le sermon sur la condition humaine, sur la vieillesse, sur l’importance de chaque chose… Car c’est le film d’un vieillard alors âgé de quatre-vingt-deux ans, et tout nous y rappelle ; par exemple, dès le début, cette porte close capturée dans un plan fixe rigide, auquel suit un panoramique sur le professeur rejoignant son tableau avec face à lui ses élèves, rangés en lignes ordonnées. Dans l’atmosphère plane un léger nuage de fumée, aussi visible que le serait une tache rouge sur un t-shirt blanc. De ce simple nuage se dégage rapidement l’allure d’une impression, d’un flottement ; il pourrait aussi bien être un trou dans la pellicule.


Durant les dix-sept années suivantes, « Madadayo » suit ce même professeur retrouver ses anciens élèves chaque jour de son anniversaire, à l’occasion de repas arrosés. Aussi, s’en suivent des intrigues visitant la vie intime d’Uchida : la perte de son chat qu’il va se mettre à chercher avec obsession, les conversations mettant en lumière son passé… Le tout sous le joug d’une caméra semblant en permanence réglée en courte-focale, aplanissant ainsi l’image comme si les vieux jours d’Uchida se voyaient à travers le prisme d’un tableau de salle de classe. Ces choix de réalisation révèlent un aspect élémentaire à « Madadayo » : c’est là un film d’intérieur, un quasi shomingeki : tout se déroule dans une maison, ou dans une salle, et rares sont les scènes en extérieur. Choix lié à la contrainte technique imposée par le fait de tourner en courte-focale, cela ne fait aucun doute. Mais aussi, se trouver si fréquemment en intérieur n’est pas sans appeler les personnages à l’introspection, et Kurosawa s’en donne à cœur-joie : chaque geste, chaque regard développe une fine couche d’importance, dessine des caractères, prend le temps, laisse du vide.


Normalement, le terme « vide » a très peu à voir avec Kurosawa, cinéaste du mouvement dont les cadrages débordent de vitalité, où tout bouge. « Madadayo », comme dit plus haut, est majoritairement en plan fixe, mais c’est aussi un film lifté au surcadrage, comme dans une séquence où des amis d’Uchida place derrière lui un plateau qu’ils font passer pour la Lune. Aussi, le film pourrait rapidement se targuer des airs pompeux d’un exercice de style gâteux, mais c’était sans compter sur la frénésie de Kurosawa, mettant en place un rythme ouvertement rachitique plaçant « Madadayo » dans un air hors du temps, quelque part entre les paroles potaches de ses personnages et les répliques faisant office de quasi initiation philosophique. Objectivement rien dans ce film n’est raisonnable, mais subjectivement tout s’y avère délicieux, à l’instar de ce long chapitre où Uchida cherche à retrouver par tous les moyens son chat perdu, Nora. Énoncée ainsi, l’aventure pourrait sembler rébarbative, mais Kurosawa, lui, va profiter de la disparition de ce chat pour appuyer sa mise en scène sur l’idée de la disparition. Par exemple, arrive un moment où Uchida raconte à ses amis comment son chat entrait dans la maison : « en passant par le trou dans la haie ». Initiant un mouvement panoramique, Kurosawa répond à Uchida en ciblant ce trou par lequel ne passe plus rien, permettant ainsi un incisif dialogue avec le perdu.


Difficile dans « Madadayo », de percevoir un quelconque reflet nostalgique. Au contraire : Kurosawa, sortant de son lyrisme habituel pour embrasser une mise en scène épurée, relate une époque patriarcale, avec en hors-champs les destructions et les animaux errants. Souvent se voit évoquer le passé à travers des chansons, comme si ces gens veillaient à le pérenniser. Mais encore une fois, tout est déjà perdu : tout file vers une seule et même destination, et Uchida encore plus vite que les autres ! La seule échappatoire sera évidemment la fin : un long dernier plan dans les rêves d’un vieillard se revoyant enfant jouer à cache-cache dans les blés, tandis que flamboie le ciel d’été. Et c’est tranquillement, qu’on peut filer.


JoggingCapybara
7
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le 2 juil. 2024

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JoggingCapybara

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