Silencieuse, s’abîmant dans l’incertitude Madame de... adaptation du roman de la grainetière Louise de Vilmorin, est l’avant-dernier long-métrage de Max Ophüls réalisé en 1953. Madame de... est une œuvre dans laquelle des boucles d’oreilles précieuses, prétextes métaphoriques au déploiement de l’intrigue, changent de main au gré des tribulations amoureuses et financières des protagonistes, objets de toutes les passions qui se déploient dans le film. Elles incarnent le mensonge, la superficialité des échanges entre les hommes, passant de main en main à l’instar des protagonistes dansant autour du cercle de l’amour. Ces joyaux, dépouillés de leur valeur sentimentale, finiront comme le symbole d’un amour déchiré, et d’une passion défendue.Ophüls choisit Danielle Darrieux afin d’incarner la muse de son film, elle doit séduire le spectateur. Femme à la beauté intemporelle, pétillante, un brin enfantine et irresponsable, elle incarne le joyau du métrage. Elle est comme un gant effleurant des tissus de soie, avec luxe et vanité. « Ophüls s’intéressait moins aux choses qu’à leur reflet, il n’aimait filmer la vie qu’indirectement, par ricochet. » écrivait François Truffaut. Le film s’ouvre sur le reflet de la femme qui allait nous fasciner, dans le miroir de l’un de ces meubles coquet. L’oeuvre se concentrera ensuite sur le déploiement vain des amours et des déceptions des protagonistes, formant un triangle maudit par le destin. Cette histoire d’un mensonge originel met en scène une passion interdite comme le fruit du Jardin d’Eden. Les amants se retrouvent et se séparent au gré d’un bal magnifiquement filmé, en fondu enchaîné. Point culminant du film d’une fluidité aquatique, la valse emporte ses personnages dans les torrents d’un destin tragique. Louise dans les bras de Donati, succombe peu à peu au charme de l’homme incarné par l’aristocratique Vittorio de Sica. La sensibilité baroque est pleinement assumée dans les décors, foisonnante et chatoyante visant à créer l’architecture de la mise en scène dans laquelle l’acteur navigue. La photographie, superbement contrastée, permet la mobilité de la caméra, et à Ophuls d’exprimer toute sa capacité à réfléchir le travelling comme un regard se promenant dans des escaliers, à travers une boutique ou le long d’un quai de gare. Le film représente pleinement la vie et la vérité, toujours en mouvement transporté d’un cadre à un autre en donnant l’illusion de la suppression de l’espace filmique. L’absence de plans fixes, chère à Ophüls, offre à la caméra un mouvement refusant la froideur et la distance. Elle semble exister uniquement pour poursuivre ses personnages. Filmer avec le regard de ses acteurs, l’objectif ophülsien nous permet de substituer notre regard à celui de la caméra elle-même et d’offrir une vérité à l’état brut du monde qui s’infiltre sous notre peau. Parfaitement écrit et d’une grande qualité littéraire, les dialogues fin, ironiques et plein de retenue bouclent le film avec finesse. Le soin du détail apporté par Ophüls, permet une conjugaison du récit et du contenu filmique (au sens mac-mahonien du terme). Madame de... est aussi un film sur la condition humaine, sur la danse des relations entre hommes et femmes, sur la transformation des passions et des sentiments dans leur nécessité tragique. Les lettres et les mots doux virevoltent comme des flocons de neige. Noyés par leurs émotions, les personnages s’éteignent dans un final amer où la réalité du monde finit par étouffer ceux qui furent si souvent insincères.