Pour Alain Souchon, le jeu de dupes est de regarder sous les jupes des filles. Mademoiselle n’est pas une oie blanche, il va falloir mettre le cran au-dessus.


Drame, romance, thriller : Je ne veux pas en dire plus. Je préfère vous faire un résumé succinct que de risquer de ne vous en dire trop. Vous avez compris la base ? Bah, oubliez tout ! Brelan aux dames !! Twist, twist et contretwist !
Mais qu’est-ce que c’est que ce film à l’affiche old school sublime ? Deux noms. Park Chan-Wook et Sarah Waters. Le premier est un réalisateur coréen très remarqué puisqu’on lui doit : la trilogie de la vengeance, dont Old boy est le 2e film, les troublants Thrist et Je suis un cyborg et l’incartade américaine Stoker. Il y aurait déjà fort à dire avec lui, notamment sur les thèmes obsédants qui jonchent sa filmo. Vengeance bien sûr mais aussi torture mentale et physique, le doute, les convictions, la survie. À découvrir, le cinéma coréen est le seul qui soit encore inventif (et le mexicain, le plus exigeant à la photographie mais c'est un autre sujet).
Le 2e nom est celui de Sarah Waters. On change totalement d’univers puisqu’il s’agit d’une auteure anglaise très appréciée pour des œuvres romancées historiques et saphiques qui ne sont pas sans rappeler le roman gothique par leur noirceur, leur élégance et leur précision. Ambiance Crimson Peak, le film de Del Toro de l’an dernier. Elle a écrit 5 romans dont le 1er Tipping the velvet ou Caresser le velours et le 3e Fingersmith ou Du bout des doigts ont été adaptés par la BBC en téléfilms en 3 parties pendant qu’Affinity le 2e était porté sur grand écran. Ses livres se dévorent comme un pudding anglais ! Euh mauvaise image, peut-être. Thématique de faux-semblants, quoi qu’il en soit.
Fingersmith ou Du bout des doigts – car fingersmith désigne en anglais argotique pickpocket – est celui qui nous intéresse tout particulièrement car il a intéressé d’abord la femme du producteur de Chan-Wook. C’est elle qui le lui a conseillé. Et d’une Angleterre victorienne, sombre et gothique, il a transposé l’histoire dans son pays, la Corée. Par contre c’est la première fois qu’il quitte le récit contemporain pour reconstituer les années 30 composites. En effet se mêlent alors tenues coréennes, tenues traditionnelles japonaises et vêtements à l’occidentale. De quoi faire péter les budgets scénographie et costumes !
Le film choisit d’aborder une arnaque Serve the servants hitchcockienne assez classique : on prend une héritière, on vire la duègne, on l’épouse (l'héritière, pas la duègne !) puis on la répudie au fond d’un hôpital psychiatrique (même réflexion que précédemment) et on récupère le pactole. Selon le point de vue de chaque protagoniste, on comprend que c’est un jeu de dupes donc à plusieurs volets et le parti pris va être de nous donner à suivre plusieurs points de vue, rappelant fortement ce qu’Akira Kurosawa réalisait magistralement avec son Rashomon en 1950. Raconter un crime selon la réalité subjective de chacun des protagonistes. Un anti Agatha Christie quelque part. Toujours le British taste. Ça va peut-être un peu trop loin pour les spectateurs (le film a beau être diffusé dans une toute petite salle des Studio - cinémas indépendants de Tours - j’ai tendu l’oreille) : en effet il y a certes plusieurs twists dans le roman d’origine mais Park Chan-Wook a pris qqs libertés regrettables, rajoutant du twist again et explicitant des zones de l’histoire qui n’en demandait pas tant. Inévitables flashbacks qui se répètent alors et ne nous apprennent pas davantage. Montage trop long. Je précise que le film fait 2h25 !
Je vais revenir sur le mystère du film : la jeune Hideko fait des lectures un peu particulières, des textes avec de très belles illustrations explicites de l’ère Meiji (le 2nd Empire par chez nous). Viens chez moi voir mes estampes japonaises, j’habite chez mon oncle ;) Il y a de très belles choses, une façon de briser la ligne de regard du voyeurisme. Mais comme ça lorgne du côté japonais, le cinéphile pense inévitablement à l’Empire des sens par exemple et ne retrouve pas le côté vénéneux. Chan-Wook a placé qqs graines d’humour liées à la connivence du public qui sait qu’ils mentent tous. On perd un moment en élégance. On n’est pas non plus dans l’intrigant, l’initiatif au sado-masochisme d’Histoires d’O, de Pauline Réage et son ambiguïté Thanatos et Éros. Et quitte à partir dans l’érotisme…
Eh bah là, là… C’est le moment : Kéchiche. On a une histoire saphique. De Sappho, la poétesse de l’île de Lesbos. Understand ? 4 scènes érotiques, dont 3 concernent les jeunes femmes. Les 2 premières, un silence à couper le souffle dans la salle. C’est beau, tendre, délicat... excitant. On en vient à penser au film Les filles du botaniste, dans un Japon rigide, avec Mylène Jampanoï dirigé par Dai Sijie en 2006. Puis ça se gâte. J’ai été déçue de passer du trouble spécifique d’une histoire d’amour (maladroite pour arriver à la scène de sexe, façon Mulholland Drive) à la pesanteur d’un regard hétéronormatif beauf sur la sexualité entre femmes. Ça aurait pu déborder dans le genre de La saveur de la pastèque, le sujet s’y prêtait. Non. Là on tombe dans le Kéchiche stayle. Faut que ça baise en plan large et en gros plan, quitte à virer dans le grotesque : comme j’aime bien donner des noms au plan, il y en a un que j’appellerai : le plan « Tire la langue entre mes jambes », pour paraphraser Élie Medeiros. Et c’est moche. Il y avait de petites toux gênées dans la salle. Peut-être parce qu’une scène ou deux femmes nues s’aiment, c’est encore considéré comme pornographique (pour bcp, lesbienne ou bi, c’est juste une case à fantasme à cocher dans les moteurs de recherche de sites de stream porno) : le fait qu’il s’agisse d’une scène de ciseaux n’aidant pas. Ciseaux sexuels hein. Paske c’est Park Chan-Wook quand même ! Y a pas de dents arrachées mais y a une autre scène de ciseaux presque plus drôle hahaha Couic !
Avant de conclure, je voudrais juste attirer votre attention sur un interessant fact : Mademoiselle est en référence à la jeune héritière Hideko tandis que le Handmaiden de l’affiche américaine évoque plutôt Sookee, la jeune pickpocket qui sert ses intérêts et ceux d’un arnaqueur avant de servir sa maîtresse. J’y comprends que la France semble avoir voulu conserver l’ambiguïté du récit selon les protagonistes quand encore une fois il aura fallu du prémâché pour nos amis outre-Atlantique…
Mademoiselle est une adaptation d’un roman original qui de par sa nature, suggérait sans montrer. Le passage à l’image obligeait de choisir de conserver la valeur du secret : tiens, Le nom de la Rose (qui est une référence certaine de Sarah Waters pour la langue noire d’encre de l’oncle collectionneur). Park Chan-Wook n’accompagne pas assez les motivations et désirs de ses protagonistes. Oui, il y a de très beaux travellings et une photo soignée. Mais la seule scène vraiment réussie est une scène d’intimité au bain. Avec une fellation sur un doigt orné d’un dé à coudre, oui. Oh bah allez le voir, tiens ! Mais ne vous basez pas dessus pour espérer avoir une belle illustration cinéma du désir féminin. Stoker était tellement plus pervers, au final.
La beauté plastique c’est fantastique, les boules de geisha qui font ding dong c’est super fou !
La fin est obscène.

Gribbsie
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le 4 nov. 2016

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Gribbsie

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