La première chose qui attrape l’œil dans ce Mademoiselle est sa photographie. Placer ces plans de caméra à l’épaule entre ces plans fixes ou travellings millimétrés a ce caractère dérangeant qui laisse le spectateur en alerte. Car ce film est avant tout un thriller. Les machinations, les complots, les mensonges, thèmes habitués du cinéma coréen, font de l’œuvre un monument d’écriture.


Il serait toutefois dommage de s’arrêter à cette dimension divertissante, surtout quand l’auteur se peine à ce point à faire passer son message.


Cette façon de mettre en scène n’est pas innocente. Rapidement, les faits, aussi stables qu’un plan parfaitement symétrique, s’opposent à leurs interprétations, aussi douteuses qu’une image volée de derrière une porte coulissante. L’occasion pour le réalisateur de montrer tous ses talents esthétiques, et pour nous de tenter de démêler le vrai du fantasmé.


Car c’est bien sur le fantasme que résident tous les enjeux du film. Le sexe y prend évidemment une place primordiale. On l’y trouve sous toutes ses formes : sincère, forcé, manipulé, montré, hors-champ, beau, malsain… Mais il est avant tout une représentation de l’amour entre deux personnes : ainsi, montrez moi comment vous baisez, je vous dirai comment vous vous aimez. Encore une fois, le jeu sur les points de vue est ici primordial.


Toutefois, on parle bien d’amour dans Mademoiselle. Les jeux amoureux se mêlent aux intrigues complotistes pour être mis au même niveau. Les personnages se débattent donc tant bien que mal pour démêler les sentiments de la manipulation, tout en ayant qu’à leur disposition leur propre vision. Et c’est bien là que réside tout le génie de Park Chan-Wook : les retournements de cerveau successifs nous font peu à peu perdre pied, pour au final ne retenir que l’amour que se portent les personnages.


Une merveille d’écriture, une mise en forme intelligente, et un thème universel traité sous un angle nouveau. La marque des grands films.


Du moins, c'est le cas si on ne compte pas les derniers plans du film. L'ultime plan nous invite même à nous questionner sur ce que l'on a vu. La pleine lune bien réelle se transforme par un fondu enchainé en dessin sur une porte. Le message est clair : les faits sont une histoire que l'on raconte par un dessin, et il faut regarder au-delà leur objectivité en ouvrant leur porte.
La fin du film prend alors une autre forme. Si, à première vue, l'amour que se porte les personnages est bien réel, suivons les conseils du réalisateur et interrogeons nous sur ce qui peut vite paraitre trop évident. Deux passages interpellent.
- Les freeze frame, d'abord, dont les images choisies pour être arrêtées dans le temps surprennent. Sur la première, Sookee semble soumise à Hideko qui l'entoure avec son bras, tout en fixant le Comte de façon hautaine. Ce dernier, sur la deuxième image arrêtée, regarde Hideko de façon assez désespérée. Il remarque qu'il a été manipulé pour servir les desseins de Ahgasi, qui prend alors sa servante en esclave sexuel.
- Les boules de geisha, ensuite, avalée goulûment par les deux héroïnes. "Rappelle toi le goût du métal", disait l'oncle. Premier indice sur l'appétit malsain qu'a développé Mademoiselle, en contraste total avec les grains de riz qu'elle mange un à un (la nourriture dans ce film est un véritable révélateur d'appétit sexuel : le Comte mange comme un porc mais ne déguste rien, Sookee ne mange jamais, Hideko se délecte). Ces boules finissent d'ailleurs dans un cliquetis résonnant au dessus de tout autre son, à l'image des cloches qui sonnent dans le livre érotique lu auparavant, annonçant l'extase.
Alors, Mademoiselle, film sur la grandeur de l'amour ? Malgré la conclusion, peut être. Mais surtout, film sur une femme qui a fini par devenir pour elle-même les fantasmes qu'elle a nourri pendant des années. Une question subsiste alors : si nous sommes prisonniers de notre envie de poursuivre l'idéal de nos fantasmes, ainsi que de notre subjectivité, quand est ce que l'on pourra ressentir quelque chose de réel ?

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le 21 mai 2016

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