Les Blessures Intimes

Pour moi Maigret n'évoque pas forcément de très bon souvenirs car c'était souvent le moment dans mon enfance ou il fallait laisser l'écran au parents pour qu'il regarde Jean Richard et sa pipe résoudre des crimes. Je crois même que ce Maigret version 2022 était ma première vraie rencontre avec le célébrissime commissaire créer par Georges Simenon. Presque 60 ans après Maigret Voit Rouge l'enquêteur faisait donc son retour sur grand écran, l'occasion pour le réalisateur Patrice Leconte de retrouver Georges Simenon 33 ans après Monsieur Hire.

Adaptation du roman Maigret et la Jeune Morte, nous allons donc suivre l'enquête du commissaire autour d'une jeune fille anonyme et inconnue de tous retrouvée le corps lardé de coups de couteaux. Au cours de ces investigations le commissaire va rencontrer Betty une jeune délinquante au profil étrangement similaire à celui de la victime.

La première grande réussite du film est incontestablement la très joli prestation de notre Gerard national. Magnifiquement sobre et juste le comédien trimballe sa lourde carcasse usé et offre au commissaire la prestance charismatique et puissante d'un vieux buffle fatigué. Souvent essoufflé, sans appétit, malade et éprouvé par le temps ce Maigret semble porter sur ses épaules le poids de toutes les victimes qu'il aura croiser sur sa route avec une certaine lassitude confiant même au détour d'un dialogue qu'il a longtemps fait des cauchemars en pensant à se première affaire. Bien loin de tous ses flics survoltés et bagarreurs montés sur ressorts qui ont abreuvés nos écrans, Patrice Leconte impose la masse du silence, de l'écoute et de la prestance, ainsi que l'humanité à fleur de peau de son enquêteur. Maigret s'amusera d'ailleurs lors d'un dialogue (l'occasion de saluer les très joli travail de Jérôme Tonnerre) des interrogatoires musclés à coup d'annuaires et des courses poursuite avec les voleurs qui sont des images pour le cinéma alors que pour lui l'essentielle du travail d'enquêteur consiste à simplement écouter. Gerard Depardieu est donc formidable dans ce costume de Maigret auquel il apporte une profonde humanité non dénué d'humour et d'ironie parfois mordante. Se métamorphosant en figure titulaire et paternaliste auprès de cette jeune délinquante, le personnage finira par fissurer son épaisse carapace pour laisser entrevoir des blessures aussi profondes que les cinq coups de couteaux de cette pauvre victime. Les dialogues du film coule comme du nectar dans la bouche de Depardieu comme pour son amusante tirade sur les enquêtes au vin blanc. Le casting est globalement assez parfait entre la jolie révélation de la jeune Jade Labeste, Anne Loiret formidable dans le rôle de l'épouse de Maigret et plein de second rôles très agréables à retrouver du regretté André Willms en passant par Aurore Clément et Hervé Pierre. Je serais un tout petit peu plus réservé sur Mélanie Bernier mais sa performance n'a rien de dramatique non plus.

Autre joli réussite du film avec l'élégante et très posée mise en scène de Patrice Leconte qui semble retrouver ici la photographie froide et grisâtre de son Monsieur Hire. Sobre, rigoureuse et classique la mise en scène du film semble presque d'un autre temps, mais qu'est ce que ça fait du bien. Le réalisateur accentue l'immense carcasse et la lassitude de son personnage par de jolis choix de mise en scène plaçant souvent l'acteur seul et presque perdu dans le cadre. Le film joue également souvent sur les thématiques du cinéma et de l'illusion comme lorsque Maigret ouvre plusieurs portes d'un décor de film et se retrouve face à un mur, l'illusion jusque dans les mœurs et la façade d'une certaine petite bourgeoisie. L'ambiance du film est assez morne et froide comme un éternel matin d'hiver, mais elle colle une nouvelle fois parfaitement à l'univers globale développé par l'intrigue.

Le seul gros bémol mais pas des moindre que j'accorderais à ce Maigret c'est que je trouves l'intrigue policière et sa résolution finalement assez faiblarde. Et même si le cœur de l'intrigue se situe ailleurs avec cette description d'homme fatigué et meurtri, j'aurais adoré que tout l'aspect investigation soit un peu plus riche et retors, car on reste tout de même dans un registre de film policier et pour le coup le compte n'y est pas vraiment.

Maigret est une belle surprise et je regrette vraiment de ne pas l'avoir vu en salles d'autant plus que le film s'est un peu gaufré aux box-office. Gerard Depardieu est formidable, les dialogues sont souvent savoureux sans chercher pour autant la petite phrase, la photographie est en parfaite adéquation avec l'ambiance du film et Patrice Leconte signe une jolie mise en scène entièrement au service de son récit. Assurément une des belles réussite du cinéma français de 2022.