Naples. Ma deuxième ville préférée après Istanbul. Pas seulement une ville chargée de plusieurs millénaires d'histoire, de culture. Une ville dont le coeur bat (sons, couleurs, gens). Une ville crasseuse, baroque et sublime. Toujours la même et toujours différente, comme un gigantesque bassin où coulerait un jet d'eau.
"Main basse sur la ville" est un polar politique sur une bande de promoteurs et conseillers municipaux qui ont fait fi du plan d'urbanisme en prévision d'un grand projet immobilier qui va les rendre millionnaires. Malheureusement, un des taudis à côté d'un immeuble en restauration s'écroule, tant les normes de sécurité sont devenues lettres mortes. Et le responsable, Nottola (Rod Steiger), promoteur et conseiller municipal, commence à sentir mauvais pour ses amis. D'autant que ce fichu conseiller municipal communiste, De Vita, ne lâche pas le morceau. Il obtient la création d'une commission d'enquête. Il y siège, face aux endormeurs qui ont été nommés à ses côtés. Voit les gens du quartier voisin qu'on vire sans ménagement de peur qu'un nouvel immeuble ne s'effondre. Ecoute sans broncher les fadaises de l'administration mouillée jusqu'à l'os. Menace d'en appeler à la presse (les élections approchent). Le centre, en face, lâche Notolla, qui va se réfugier à droite, chez De Sanctis. Un gars assez fin pour faire se réconcilier Notolla et le chef du centre. Notolla est nommé conseiller municipal, mais De Vita ne s'avoue pas vaincu et avertit ces pourris : le peuple bouge, leur règne ne durera pas éternellement.
10....Je ne suis pas objectif. Mais il y a quelques villes pour lesquelles je craque quand elles sont bien rendues au cinéma. Et ici, malgré un montage parfois un peu saccadé, j'ai retrouvé complètement cette atmosphère napolitaine si particulière. Ha, quel homme peut être aussi désarmant et assassin qu'un conseiller municipal napolitain ? Quelle ville peut combiner à ce point le glamour d'entrepreneurs en costumes, qui jouent aux grands, et la pauvreté la plus poignante (a plus imbibée de christianisme, aussi ?).
Ce film combine un noir et blanc impeccable avec des scènes en apparence ennuyeuses, de grands garçons en imper et chapeaux tentant de s'amadouer, de s'intimider, de se faire basculer. Et si le sujet de leurs discussions porte sur les attributions de parcelles municipales et les normes de sécurité, la structure, le traitement sont bien celui d'un opéra.
Beaucoup de scènes-choc aussi, comme ces plans sur le mouton, sorte de masse en fer qui sert à forer des trous, ou ce plan montrant tous les conseillers de droite lever les mains d'un air désarmant en disant "Nos mains sont propres", avec de vraies têtes de canailles.
C'est un cinéma politique adulte, bien plus adulte que ce qu'on nous montre aujourd'hui. Car aujourd'hui les films politiques ont peur de parler d'idéologie. Or c'est bien cela, la leçon du XXe siècle : on peut bien déguiser les querelles d'intérêts en conflits personnels, on n'échappe jamais à l'idéologie. Il serait temps de s'en rappeler.