Mais ne nous Délivrez pas du Mal qui date du début des années 70 est le tout premier film de Joël Seria futur réalisateur du formidable Les Galettes de Pont Aven. Pour cette première réalisation dont il est également l'auteur, Joël Séria va s'inspirer des souvenirs de sa propre enfance assez stricte dans un collège catholique et de la photo d'une très belle jeune femme coupable d'un sordide fait divers qui faisait la une d'un journal. La belle figure fragile de l'innocence capable de faire le mal et le carcan ultra rigide d'une éducation bourgeoise et religieuse, le réalisateur tenait les deux ingrédients à un sulfureux premier film.
Mais ne nous Délivrez pas du Mal raconte l'histoire de Anne et Lora deux adolescentes élèves dans un collège et pensionnat religieux. Pour tromper l'ennui, tester les limites et braver les interdits les deux jeunes filles préfèrent vouer Satan et s'amuser des péchés plutôt que de rester dans la triste rigueur des préceptes catholiques.
Même si le film conserve l'aura sulfureuse d'un brûlot des plus dérangeant, il faut bien reconnaître que son interdiction totale durant neuf mois (essentiellement sous l'impulsion des autorités catholiques) semble aujourd'hui assez ridicule. Et pourtant, car nous n'en sommes plus à un paradoxe près, bientôt un demi siècle après sa sortie il est assez difficile de savoir si un film de la teneur de Mais ne nous Délivrez pas du Mal pourrait sortir encore sur les écrans sans provoquer l'ire hystérique de nombreuses association garantes de la bonne tenue morale des œuvres artistiques. Car le film de Joël Séria flirte toujours avec de nombreux sujets bien sensibles comme le très jeune âge de ses deux personnage féminins qui s'amusent des pulsions de sexe et de mort ou quelques séquences de cruauté animale qui bien que simulées selon Séria seront douloureusement crédibles à l'écran pour les amoureux des oiseaux. Le film possède même une vraie modernité dans certaines thématiques très actuelles notamment sur le comportements des hommes incapables de canaliser une pulsion sexuelle face une tentation qui a toute la candeur d'une innocente mais véritable provocation. Car ce qui fait toute l'ambiguïté et la qualité du film de Joël Séria c'est que ces deux jeunes filles qui s'amusent à rependre et faire le mal ne sont pas vraiment diaboliques, mais juste des adolescentes dans une forme de révolte presque joyeuse à l'ordre établi. Anne et Lora provoquent, séduisent, transgressent, repoussent les limites mais toujours dans la candeur de grands éclats de rire, avec l'innocence de l'acte et l'inconscience de la conséquence. Si parfois le spectateur grincera des dents et ressentira un léger malaise face à ses deux enfants à peine femmes exhibant leurs charmes face à un pauvre paysan ou un vieux bourgeois , tout ne reste finalement qu'un jeu aussi dangereux que cruel pour les deux amies qui jouent avec le feu pour incendier comme un doigt d'honneur les barrières des interdits.
Si Mais ne nous Délivrez pas du mal est le premier film de Joël Séria il est aussi le premier film de celle qui restera par la suite une sorte d'égérie, la douce et délicieuse Jeanne Goupil avec laquelle il tournera régulièrement (Marie Poupée - Les Galettes de Pont Aven - Charlie et se deux Nénettes). La jeune comédienne forme un formidable duo avec Catherine Wagener qui aura bien moins de réussite puisqu'elle finira malgré son talent chez Max Pécas et dans la pornographie. Il faut également saluer un autre acteur important du film qui est la très belle musique mélancolique composée par Claude Germain et les chansons avec l'envoutante voix de Dominique Ney qui incarne une des sœurs du film.
Mais ne nous Délivrez pas du Mal n'est peut être au final qu'une chronique douce amère de l'adolescence. Cette période des plus troubles propre à la révolte, l'interdit et l'exploration de pulsions de sexe et de séduction est au cœur du film de Joël Séria. Pour tromper la routine de l'ennui et jusqu'au plus profond du malaise il est souvent jouissif mais dangereux de faire absolument tout le contraire de ce que l'ordre et la morale nous intime de faire.