août 2010:
Que de choses à dire sur ce film et sa trilogie! Le regard que je lui porte est déjà un discours en soi sur toute ma cinéphilie, la manière dont j'estime pouvoir savourer toutes les voies créatrices de ce support. J'ai tant à dire. Il y a tellement de possibilités de s'éparpiller que j'ai laissé beaucoup de temps avant d'oser chroniquer cette 7e compagnie. Un Graal, alors que ce ne sont que trois petits films, il faut l'avouer. Par où commencer?
D'abord, je vais essayer tant que faire se peut de limiter mon propos à ce premier chapitre. Et tenter de bien cerner également la différence fondamentale entre un "grand film" et un "film que j'adore". Car jamais il ne me viendrait à l'esprit de présenter ce film comme un grand film, une réussite majeure du cinéma.
Sur le plan technique, Robert Lamoureux n'invente rien, la photographie est tout juste correcte. Les cadrages font le service minimum. Les enchainements entre les scènes sont secs. Dans les échanges entre les personnages, l'alternance entre gros plans et plans larges est judicieuse mais sert uniquement le rythme et la percussion des répliques. Bref, l'aspect formel, visuel du film est le cadet des soucis de Lamoureux.
Il demeure concentré sur ses comédiens et le tempo qu'ils impriment à leurs discussions. La mise en scène est minimale, ce sont les acteurs qui font le reste, dans le ton, dans la cadence, l'expression et dans la gestuelle. Tout est orienté sur le jeu. Je suppose que Lamoureux conscient de ses limites techniques se contente de ce qu'il connait bien : le bien dit, au bon moment, c'est à dire le jeu comique.
Or, son humour, très particulier, n'est pas vraiment fondé sur des jeux de mots ou le lyrisme comme celui de Michel Audiard par exemple, mais sur les ruptures de sens, de ton, de rythme, de logique, etc. Les dialogues commencent souvent de façon assez banale et dévient très vite vers un bon sens apparent mais en réalité absurde. Cette absurdité est volontairement amenée par les évènements et les contraintes exercées sur les personnages. Aussi plus qu'un humour de dialogues ou de gags, on se rend compte que ce sont les situations absurdes qui obligent les personnages à tenir des discours décalés. Les situations poussent la logique vers ses derniers retranchements jusqu'à ce qu'elle craque.
Autre point sur lequel Lamoureux s'appuie : les conventions sociales, les conflits et les ressentiments qui naissent de la confrontation de classes. Dans ce premier épisode qui présente et installe les personnages -cela dit, il ne faut jamais oublier que ce n'est qu'à l'issue de sa sortie et de son grand succès que l'on a décidé de faire une suite- l'opposition entre ouvrier et petits bourgeois est déjà soulignée à plusieurs reprises, parfois même avec une certaine férocité. Je reste persuadé que Lamoureux nourrit une réelle et franche affection pour le menu peuple représenté par ses trois zigotos. Mais il n'empêche qu'il s'autorise à montrer que même au bas de l'échelle sociale, la hiérarchisation reste vive et coriace. Quand Robert Dalban demande aux trois soldats ce qu'ils faisaient dans le civil, le sergent Chaudard (Pierre Mondy) présente d'abord le soldat Tassin (Aldo Maccione) qui dit tuer des bêtes aux abattoires de Nice -la coproduction italienne ayant imposé sa présence peu marquante et oblige Lamoureux à justifier son accent par une ascendance sicilienne- mais pas la moindre trace de racisme ou de condescendance à son égard, par contre quand il en arrive au soldat Pitivier (Jean Lefebvre), il n'a pas le temps de prononcer "balayeur", Lefebvre l'interrompt en hurlant un "non" et en se présentant comme "employé de mairie". Les deux autres ricanent et Mondy d'ajouter "oui, service extérieur" tout en mimant l'usage du balai. Le "et alors? Il en faut" que Lefebvre émet sonne comme un ultime refuge pour son amour-propre meurtri. Le moment est cruel. Et Mondy essaie vainement de justifier sa pique en invoquant l'humour mais cela démontre l'étendue d'un certain malaise que le film s'ingénie à annihiler. Un film sur la revanche des petits.
Une nouvelle conversation va y participer. Les trois hommes passent une première nuit à la belle étoile, ensemble, au coin d'un feu de camp et devisent gentiment de leurs situations familiales et professionnelles. Cette discussion permet à Lamoureux de réaborder sa problématique fétiche sous son angle favori, celui du bon sens, cette culture populaire qui, pour qui fait de la politique, le cataloguerait vite comme démagogue. Mais ici, je crois Lamoureux sincère encore une fois, et cette discussion vient réellement araser les niveaux sociaux. Quand les hommes en viennent à parler des avantages et inconvénients d'être son propre patron ou simple ouvrier, ceux ci conviennent par exemple que les ouvriers n'ont pas à assumer les responsabilités de leur entreprise mais le débat se clôt sur la paye qui n'est évidemment pas la même. La lutte des classes selon Robert Lamoureux n'est pas plus compliquée à résumer que cela : pragmatique sans être cynique, sans doute avec cette sorte de docilité que d'autres fustigeraient mais qui prend ici tout son sens avec le caractère profondément malléable de ces trois hommes plutôt faibles.
Cette faiblesse est une autre des marottes que Lamoureux aime à traiter dans ses films. Ici surtout, le cinéaste entend en faire un sujet de rire et indirectement de fierté. Si le film ne fait pas l'apologie de l'échec, il lui trouve au moins des excuses. C'est quand même un film qui suit les pitoyables mésaventures de trois perdants, trois losers, quelque part trois enfants paumés dans une guerre qui n'est pas la leur. Ces hommes ne sont pas destinés à tuer, ni à subir le mal. Ils ont même l'air très rompus à faire tout ce qu'ils peuvent pour l'éviter. Ce réflexe naturel chez ces hommes à fuir la guerre, à essayer de profiter au maximum de ce petit délai que leur offre leur grande vadrouille les fait apparaitre comme des personnages très humains, lâches comme nous tous, peu concernés par cette guerre comme la plupart des français. Le film ne dit rien d'autre de cette guerre : ils montrent ceux qui appartiennent à ce que l'on va appeler la majorité silencieuse. Ces trois là ne sont ni collabos, ni résistants. Ce sont les circonstances qui en font des héros de guerre, non leur personnalité ni leur idéologie.
Lamoureux va tout de même tracer une limite à leur "sans opinion" avec le personnage de Jacques Marin. Dans une scène plutôt écrite, il introduit un collabo, servile avec les allemands et totalement indifférent au sort des soldats français qui perdent la guerre. Son adhésion immédiate aux désidératas allemands va jusqu'au salut hitlérien convaincu. Certes, l'objectif principal de Lamoureux est la blague de potache mais derrière ce paravent rigolard il permet au français de 1973 de placer ces héros sur le curseur de la "bonne France". Il n'y a plus d'ambiguïtés possibles, ces héros sont de bons gars, aimables et le bon sens préconise au moins la non collaboration. On en revient à cette résistance passive, cette majorité silencieuse, celle que De Gaulle voulait mettre en lumière, pour la réconciliation, pour oublier la collaboration. Je ne dis pas que c'est bien ou mal, c'est comme ça et effectivement, plus rien ne peut empêcher le spectateur de se prendre d'affection pour ce groupe de pieds nickelés.
L'extraordinaire de ce film se situe aussi dans le fait qu'il parvient à rendre l'évolution de ces hommes enviable. On est en pleine débâcle pour les militaires, les allemands avancent à marche forcée alors que les civils subissent l'exode et ces trois nigauds se transforment en boy-scouts. Je vous dis que ce sont des enfants! Coupés de leur unité, coupés du monde, enveloppés dans la quiétude de la forêt et de la nuit, ils se frayent un chemin dans ces bois, s'isolent et fabriquent cabane en bois et fougères, prennent des lapins au collet pour se faire une petite grillade sous les étoiles et se prélassent dans l'eau rafraichissante d'un lac toute calme et paisible. Une poésie du simple. Loin de la guerre, les spectateurs qui ont été scouts ou ont goûté aux joies des activités de la grande randonnée sauvage se remémorent avec nostalgie et émotion du temps jadis ô combien charmant où ils gambadaient youkaïdi-youkaïda et flirtaient sous le ciel noir étoilé. C'est ce sourire nostalgique et bienheureux qui barre le visage de Pierre Mondy au moment d'éteindre le feu et qu'un "vous v'nez chef?" vient interrompre brutalement.
La musique d'Henri Bourtayre très douce joue justement sur ce sentiment, cette nostalgie de feu de camp avec une mélodie portée par un harmonica délicat, presque une berceuse qui sent l'herbe, pas celle qu'on fume, celle qu'on hume.
Les trois enfants s'endorment sous leurs fougères et oublient tout, notamment leurs femmes. Seul Aldo Maccione n'est pas marié mais lui aussi vit sous le règne matriarcal, celui de sa sœur qui l'oblige à mettre des patins et à rentrer avant onze heure. "Là dessus elle est terrible!" Lefebvre n'est pas aimé, sa femme vit à l'extérieur et une réflexion amère nous incite à croire qu'elle trompe volontiers son homme. Alors que pour Mondy sa position conjugale défaillante sera mise en exergue dans le troisième volet de la série. Mais un inquiet "Qu'est-ce que va dire Paulette?" après qu'il soit tombé dans l'eau et ait abimé une de ses lettres peut nous laisser à penser qu'il n'est pas maitre de son ménage.
Il est vrai que ce qui le ronge et le flétrit est bien plus son incompétence professionnelle. Sa quincaillerie ne marche pas bien, les comptes sont au rouge. Il est pourtant bien dans sa propriété. Ou bien veut-il le croire/ Elle lui donne un statut social, du galon, presque une notabilité face à ses deux sous-fifres. Mais ce n'est qu'illusion bien entendu, une chimère qui s'évanouit quand il rencontre celui qui est son véritable supérieur, au militaire comme au civil, le lieutenant Duvauchel (Erik Colin), président de la Société Nationale des Ustensiles Français qui possède réellement sa quincaillerie.
Il faut voir le jeu de Mondy quand il se rend compte de son criant manque de bol : tomber par hasard sur un officier qui sait le réalité de ses compétences et de son statut... Mondy est un formidable comédien. Dans cette 7e compagnie, il a deux ou trois scènes où il réussit à montrer quelques facettes de son grand talent : un timing impeccable, une richesse dans la gestuelle, un très efficace sens du naturel et beaucoup de variété dans les expressions. Un acteur puissant et intelligent qui a connu ses heures de gloire dans les années 70 et 80 et pour qui je voue volontiers un culte, une profonde affection en même temps qu'une vive admiration.
Je pourrai presque en dire autant de Pierre Tornade, comédien qui s'est fourvoyé dans un nombre indécent de navets mais qui sur ce film et plus encore sur le second fait montre d'une belle maitrise sur peu de scènes qui sonnent juste, plutôt graves. Il possède en outre une voix mémorable pour les plus vieux qui ont été jeunes du temps où Astérix était un dessin animé, celle d'Obélix.
Bref, lui aussi fait partie de ces figures habituelles qui ont marqué ma jeunesse. Hé oui, évidemment, ce film m'est particulièrement accessible également à titre de "madeleine". Je ne suis pas dupe, la nostalgie est un élément fondamental de cette adoration déraisonnable. Le fait que cette série soit -comme elle a toujours été- tous les ans diffusée participe pleinement à l'engouement et l'appropriation des personnages par les spectateurs. Les esprits chagrins diront volontiers qu'à force de bouffer de la merde on finit par l'apprécier. Mais comme j'essaie de le décrire depuis tout à l'heure cette série ne peut pas être confondue avec le tout venant qui s'oublie. Je crois foncièrement que le "crime" ne paie pas et qu'il faut un minimum de talent et d'huile de coude pour qu'une série comme celle-là perdure au box-office.
Alors certes, ma dernière revoyure m'a confirmé ce que je savais déjà : l'humour français de ces années là a pris un méchant coup de vieux. Justement sans doute parce qu'il n'est pas vraiment méchant. La troupe du splendid et ses petits enfants de la télé ont beaucoup plus faits leurs dents en les montrant.
Alors définitivement le succès de ce film bucolique tient à sa joie communicatrice, l'insouciance des trente glorieuses qui ose jusqu'à rire de la guerre, se foutre avec allégresse de ce qui jusqu'alors constituait un choc national, la défaite de 40, la débâcle et l'exode. Car si Gérard Oury avait réussi à rendre la guerre comique avant Lamoureux, il ne faut pas oublier qu'il montrait celle de la résistance. Or, ici, Lamoureux a l'idée géniale et couillue de filmer une bande de vaincus, de bêtes mais pas méchants nullards, la France incompétente, plutôt crétine et c'est justement ce regard plein de bonté au fond qui permet d'exorciser cette honte nationale. Avec ce rire catharsique, Lamoureux offre une jolie opportunité de tourner la page, de prendre du recul sur une période qui n'est pas non plus édulcorée de manière malhonnête ni excessive. On reste dans le cadre d'une comédie consensuelle dont le discours politique reste limité et traditionnel car l'objectif principal demeure de faire rire le maximum de personnes. Je ne suis pas sûr qu'il y ait finalement d'autres ambitions. Il se trouve que le film échappe peut-être en partie aux ambitions restreintes du réalisateur et de la production. M'enfin je ne fais là que supputer n'ayant jamais entendu ni lu Lamoureux s'exprimer sur le sujet. Quoiqu'il en soit, beaucoup ont vu et continueront de voir dans ce film un navet, une plate comédie française -avec tout ce que cela comporte d'œillères sordidement snobinardes- qui a eu l'immonde goût d'être un très grand succès cinématographique et qui continue d'avoir la pestilentielle habitude d'attirer les téléspectateurs chaque année.
C'est donc le cas pour mézigue. Chaque fois que je le vois, un grand plaisir coupable me submerge. Le film représente quelque chose de familier, d'affectif, un rendez-vous rassurant peut-être, l'occasion de revoir des amis, une heure et demie souriante, dépaysante, l'aspect touristico-historique n'est pas à renier. Un gros bonbon sucré, pas trop plein de colorant, une saveur simple, réconfortante.
Affaire de goût, d'état d'esprit, d'œil et surtout de curiosité, peu importe en fin de compte puisque seul prévaut le plaisir de suivre ces pittoresques aventures d'autant plus qu'il se renouvelle maintenant à volonté pour les aficionados.
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