Après son documentaire remarqué consacré au dictateur ougandais Général Idi Amin Dada, Autoportrait, Barbet Schroeder revenait à la fiction pour son film suivant avec un sujet de nouveau propre à en dérouter plus d'un : le sadomasochisme. Or si le cinéma s'y était déjà intéressé de manière sporadique et anecdotique, à quelques exceptions près, Maîtresse bousculait les codes autant sur le fond que sur la forme. Jamais cette pratique n'avait été filmée aussi frontalement. Inspiré par les confidences d'une dominatrice professionnelle, le scénario signé par Barbet Schroeder et Paul Voujargol s'éloignait des précédentes incursions et lieux communs du cinéma d'exploitation pour explorer une facette alors méconnue du masochisme. Cousine éloignée de Belle de jour de Luis Buñuel, Maîtresse brosse ainsi le portrait d'une romance non conventionnelle entre une jeune professionnelle, qui exerce principalement sa domination sur la gent masculine, et un jeune provincial découvrant cet univers jusqu'alors inconnu.


Arrivé à Paris, Olivier (Gérard Depardieu) rejoint, non loin de la gare d'Austerlitz, Mario qui vend des livres d'art en porte-à-porte. Accompagnant son ami au cours de ses prospections, les deux hommes font la connaissance d'Ariane (Bulle Ogier) qui leur promet d'acheter tous leurs livres s'ils arrêtent l'inondation de sa salle de bain. Lui indiquant qu'elle ferait mieux de prévenir les propriétaires de l'appartement du dessous, Mario et Olivier apprennent que le quatrième étage est bien inoccupé comme le laissait transparaitre les volets fermés depuis la cour de l'immeuble. La même nuit, les deux hommes reviennent pour le cambrioler. Mais le butin s'avère décevant. Pire, ils se retrouvent face à Ariane, vêtue d'une tenue de cuir. Elle les libère, moyennant un petit « service » de la part d'Olivier…


"C'est fabuleux de pouvoir entrer dans la folie des gens d'une manière si intime". Cette phrase formulée par Ariane à son compagnon aurait très bien pu l'être par le cinéaste. Libérée de tout jugement de valeur ou autre lubricité, la caméra de Barbet Schroeder explore cet univers singulier avec la curiosité et le respect qui caractérise l'entreprise du réalisateur. Montrer tout pour mieux rentrer dans l'inconscient de ces personnes qui laissent leur maîtresse rentrer de plein gré "dans leur folie", cette dernière plongeant de manière imagée dans la psyché de ses clients une fois emprunté l'escalier rétractable qui relie ses deux appartements, pont entre sa vie privée à sa vie professionnelle. De son statut premier de dominatrice professionnelle, la belle Ariane se révèle être une metteuse en scène de fantasmes, améliorant les histoires dictées par ces hommes et femmes qui éprouvent du plaisir par l'humiliation ou la souffrance physique.


Sorti peu de temps après l'adaptation cinématographique d'Histoire d'O de Just Jaeckin, Maîtresse, on l'aura vite compris, s'éloigne de cet érotisme factice trahissant l'essence même de son sujet, en se rapprochant davantage sur un ton plus léger des sulfureux et contemporains de Salo de Pier Paolo Pasolini ou de L'empire des sens de Nagisa Ôshima. De ces scènes sadomasochistes, faisant office d'électrochocs pour le spectateur non coutumier du fait (soit le spectateur lambda au milieu des années 70), filmées dans un style proche du documentaire, avec de véritables pratiquants dans un appartement parisien transformé pour l'occasion en donjon SM, Barbet Schroeder ancre son long métrage fictionnel dans une réalité crue, sans artifice, alors que le cœur du film tourne autour des fantasmes des protagonistes, des clients au couple formé par Ariane et Olivier.


Couple ambigu et paradoxal, interprété par une surprenante Bulle Ogier (loin de l'image qu'on pourrait se faire d'une dominatrice et de ses précédents rôles) et un bouillant Gérard Depardieu à la fragilité trouble, les deux amants renversent autant le schéma patriarcal établi, qu'ils sont à la recherche d'une relation parfaite, au-delà de toute soumission et dominance. Réflexion sur le pouvoir, ou plutôt sur les différentes formes que celui peut prendre, la présence du dénommé monsieur Gauthier, protecteur et souteneur d'Ariane, venant jouer les éléments perturbateurs, Maîtresse fait également écho dans sa conclusion avec deux décennies d'avance à celle de Crash de David Cronenberg, l'épilogue joyeux originel cédant cette fois-ci sa place à une noirceur fataliste.


Non dénué d'humour, comédie étrange se piquant de jouer avec la morale bourgeoise et les bonnes mœurs tel son illustre pair Luis Buñuel, ce quatrième long métrage de Barbet Schroeder s'inscrit sans conteste comme l'une des plus belles réussites du cinéaste suisse.


Recommandé.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/05/maitresse-barbet-schroeder-1976.html

Claire-Magenta
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le 2 juin 2017

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