Réalisé par Tiina Lyma, actrice finlandaise qui a de la mise en scène théâtrale à son actif, ce film est son premier long métrage visible en France (elle en avait déjà écrit et dirigé cinq). Il s’agit d’une grosse production où elle adapte librement une saga familiale écrite par Anni Blomqvist dans les années 60 et très réputée en Finlande.
Comme le titre l’indique, l’histoire est centrée sur le personnage de Maja qu’on suit depuis son adolescence jusqu’à sa vieillesse (à peine effleurée). A noter d’emblée qu’Amanda Jansson interprète Maja (à prononcer comme Maya l’abeille) de bout en bout et de façon particulièrement convaincante, car elle présente la particularité de passer avec un minimum d’artifices, aussi bien pour une adolescente que pour une femme et même une femme gagnant en maturité. Le seul inconvénient pour le film c’est qu’il était impossible pour ses enfants (quatre au total) de tout filmer avec la même personne à chaque fois, puisque la narration s’étale sur une période d’une vingtaine d’années pour l’essentiel. Cela crée donc un léger déséquilibre et fait en sorte que les enfants de Maja et Janne n’occupent pas toujours la place qu’ils pourraient et devraient occuper, sachant qu’ils comptent énormément pour leurs parents. De ce côté, l’équilibre du film tient au fait que Linus Troedsson qui interprète Janne, celui que Maja épouse, tient lui aussi son rôle de bout en bout.
Autre point délicat pour un spectateur français, le film ne donne aucune indication temporelle, même si on voit bien à la manière dont vit la famille de Maja au début, que nous ne sommes pas à l’époque actuelle. En fait l’intrigue se situe au XIXe, ce qui justifie la façon dont les relations entre hommes et femmes sont présentées. Ceci dit, le film étant dû à une finlandaise, on sent que dans son esprit, certains points relèvent de l’évidence, alors que le spectateur français qui ne connaît pas particulièrement l’Histoire finlandaise se pose des questions. Ainsi, des soldats de la Marine royale anglaise débarquent à un moment sur l’île de Stormskär (à égale distance de la Finlande et de la Suède, dans la mer Baltique) où vivent Janne, Maja et leurs quatre enfants. Janne ne pense alors qu’à prendre la fuite, pourquoi alors qu’il n’est pas Anglais ? Et puis, celui qui commande la troupe annonce vouloir annexer l’île au nom de sa Majesté. Pour quelle raison ? Et surtout, que viennent faire des soldats anglais à cet endroit ? Peut-être participent-ils à la guerre de Crimée (1853-1856). Ceci dit, l’épisode est intéressant, car Maja se retrouve alors seule adulte pour défendre le peu qu’elle possède face à des soldats peu scrupuleux et ayant l’avantage du nombre. Elle montre une telle détermination qu’elle parvient à se faire entendre.
C’est d’ailleurs assez amusant ensuite de la voir soigner délicatement celui qui vient de se faire fouetter violemment pour avoir tenté de la spolier et qui se voit puni pour rébellion contre l’autorité. On remarque au passage qu’elle y gagne finalement son respect. Autre point amusant, à force d’interventions marquées au coin du bon sens, Maja finit par se muer en directrice des opérations, seule femme face à cette troupe de soldats avec qui les échanges oraux s’avèrent très limités puisqu’ils ne parlent pas la même langue.
A ce propos, on sent que le film comprend des dialogues en finnois, en anglais et également en russe (proximité de la Russie avec la Finlande), mais trop vaguement, alors qu’il serait possible de le marquer par des sous-titres de différentes couleurs par exemple.
Le dernier inconvénient à citer est dû au fait que le film est une adaptation d’une œuvre littéraire conséquente (cinq romans). Cela se sent, en particulier au début. La réalisatrice-scénariste a dû évidemment faire des choix. Tous les éléments du roman ne se retrouvent pas dans le film et elle en intègre d’autres selon ses intentions. Le début lui permet d’intégrer de nombreux éléments importants : le milieu paysan dont Maja est originaire, ses nombreuses croyances superstitieuses, son caractère volontaire et travailleur mais également emporté, etc. Ainsi, Maja est très marquée par l’élément eau, notamment la mère des flots qu’elle interroge plusieurs fois, avec conviction. Ce qui ne l’empêche pas de se tromper (ou de passer outre). D’ailleurs le film entretient le doute : Maja a-t-elle un certain pouvoir de voyance ou bien surtout une croyance en certains signes du fait de son éducation ? En ce qui le concerne, Janne s’avère bien plus pragmatique, ce qu’on observe depuis le début.
Il a choisi Maja et accompagne son père pour une demande en mariage officielle en bonne et due forme. Maja n’a pas son mot à dire (elle en attendait un autre), c’est son père qui accepte. Cela nous vaut quelques scènes marquantes jusqu’à la nuit de noces.
On observe qu’entre Maja et Janne l’amour viendra cependant s’épanouir et porter ses fruits. Une des raisons principales en est que Janne décide d’emmener Maja s’établir sur un ilot loin de tout, pour s’établir comme pêcheur. C’est d’ailleurs assez particulier de les voir vivre sans côtoyer personne d’autre.
Ainsi, le film ne mentionne jamais la moindre relation, même épistolière, avec les familles (la famille de Maja débarquant comme par hasard, juste après le départ des Anglais). Quant aux enfants, ils ne vont pas plus à l’école que leur mère et c’est tout juste si la plus grande apprend à lire. D’ailleurs, Janne accouche Maja sans jamais envisager la moindre aide et donc en négligeant tous les risques qu’ils courent. Sa confiance n’irait-elle pas jusqu’à l’inconscience ?
Le film nous montre l’épanouissement de l’amour qui s’établit entre Maja et Janne, la confiance que Janne insuffle à sa femme, la force qu’il lui accorde en lui disant qu’ils ne doivent avoir peur de rien. La durée du film (2h44) permet de montrer comment cet amour se construit et toutes les épreuves qui le fortifient. L’île sur laquelle vit la famille s’avère d’un environnement très sauvage mais d’une réelle beauté bien mise en valeur par la photographie de Rauno Ronkainen qui privilégie intelligemment la lumière naturelle. Entre Maja et Janne, on sent s’établir la confiance, mais aussi l’amour et le désir, la tendresse, le besoin de se retrouver et de former un tout indestructible. Pourtant, tout ne sera pas rose et les malheurs ne les épargneront pas. Tout cela apporte beaucoup d’émotions dans ce film qui se révèle progressivement dans toutes ses dimensions, à la manière dont Maja se révèle elle-même dans toutes ses capacités d’action, de résistance, ainsi que pour convaincre et obtenir ce qui lui tient le plus à cœur, etc. En ce sens, ce portrait de femme éveillera d’intéressants échos par rapport aux préoccupations féminines d’aujourd’hui. Je pense en particulier à ces deux scènes qui se répondent et situées à des années d’intervalle, pour réclamer deux prêts successifs auprès du même homme qui, semble-t-il, reçoit chez lui. La même jeune femme assise à lire dans un coin aura un avis déterminant, ce qui s’avère tout sauf anodin.
Le film dégage donc au final une vraie puissance, grâce à ses personnages, aux situations qu’ils affrontent, mais aussi au fait qu’ils sont constamment en lien avec la nature dans toute sa rudesse. A mon avis, la musique de Lauri Porra est un brin envahissante par moments, comme si la réalisatrice ressentait le besoin de cet appui, alors qu’il ne fait qu’accentuer des situations déjà fortes naturellement. Un film montré logiquement dans de nombreux festivals.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné