Mamá, Gérardmer te salue !
Mamáááááá (b)ouhouuuuuuuuu !!
Soit vous interprétez cette introduction façon Bohemian Rapsody de Queen et vous n'aurez pas tort non plus, soit je vous conseille d'imaginer ce film qui a fait frissonner de terreur toute la salle du Casino de Gérardmer.
Grand Prix du Jury, Prix du Public et Prix du Jury Jeunes à Gérardmer. Autant dire que tout le monde a été conquis par le tout premier film (adapté de son court-métrage du même nom) de l’argentin Andres Muschietti, réalisé avec sa compagne. Ce n'est pas pour rien que la revue Variety l'a placé dans son top 10 des réalisateurs à suivre de très près. Mamá se paye même le luxe d'être estampillé "Produit par Guillermo Del Toro", gage de qualité et atout commercial. Cette étiquette lui confère un atout de poids non négligeable et effectivement, la patte Guillermo se ressent dans ce conte onirique et fantastique qui rappellera à certains moments les belles heures du Labyrinthe de Pan. Sorti en janvier 2013 aux Etats-Unis, bénéficiant du buzz Jessica Chastain nominée aux Oscars, le film est un véritable carton commercial. Attendu le 15 mai en France, le distributeur a cependant trop sous-estimé ce film qui va souffrir de la sortie en avril du Blu-Ray/DVD en import et donc du téléchargement. Peut-être que le bouche-à-oreille lui permettra une carrière correcte dans nos contrées vu les acclamations qu'a reçu Mamá dans la petite ville des Vosges.
Il faut dire qu’il fait soif de frissons dans les salles obscures. Dans les files d’attentes du festival, certains déclaraient « n’avoir pas été aussi effrayé au cinéma depuis [REC] » de Paco Plaza et Jaume Balaguero, en 2008. C’est long, très long et la vague de films en found-footage, ces films faussement amateurs où des pellicules ont été récupérés par autorités, le plus souvent policières, popularisés par la saga Paranormal Activity, n’a pas su combler les attentes de véritables passionnés du genre. Si d’un point de vue commercial, le genre fonctionne relativement bien, les critiques et cinéphiles aguerris ne sont pas tendres à son égard.
Quoi qu’il en soit, une contre-tendance à ce sous-genre se soulève et on note le retour des esprits, démons et autres fantômes du cinéma d’épouvante. La mise en scène redevient, certes plus consensuelle, mais pas moins dénuée de charmes, comme le confirme les beaux succès ces dernières années d’Insidious ou de Sinister l’année dernière. Mais Mamá est au-delà de l’épouvante, il revient à la beauté du fantastique laissé vacant depuis Le Labyrinthe de Pan par un Guillermo Del Toro, occupé ailleurs. Cette fabuleuse histoire, conçue après le remarqué court-métrage d’Andres Muschietti, surprend et nous rappelle qu’une histoire aussi sombre que celle-ci peut être empreint d’une beauté sans faille qui fait de ces films fantastiques, des monuments du genre.
L'ambiance de ce long-métrage est l'un des nombreux charmes du film. Fantasmagorique, oscillant entre une dimension réelle et irréelle, relié par cet esprit tourmenté qui va tour à tour protéger puis poursuivre ses deux protégées. Dans un univers très froid, l’intrigue est passionnante à suivre tant les éléments inattendus qui la composent sont légions, jusqu’à ce final qui en laissera plus d’un de marbre. Le film est traversé par l’effroi dès les premières minutes du film. A l’inverse de ce qui se fait en général, Muschietti a décidé de ne pas se rabaisser à montrer ledit esprit vers le milieu ou la fin de son métrage. Il l’affiche de haut en bas dès l’introduction du film dans une scène surréaliste, qui a terrorisé la salle du Casino de Gérardmer. Une frayeur qui va monter crescendo jusqu'à un final éblouissant. De manière subtile, il oscille entre le suggéré et le jump-scare, ce procédé classique dont le but est de faire sursauter le spectateur. Il faut reconnaître que pendant les 45 premières minutes, on s'accroche à notre siège et la mise en scène fait tout pour augmenter l'effroi.
J’évoquerais juste ce plan plus en profondeur. Celui, que l’on peut déjà voir dans le court-métrage d’origine, où les filles se rendent compte que l’esprit les a suivi jusqu’à leur nouvelle maison. Au rez-de-chaussée, elles voient l’esprit, figé au fond d’un couloir. Subitement, une note de musique stridente se fait entendre, l’esprit se précipite sur les filles et l’action se transforme en plan-séquence d’une formidable ingéniosité où la caméra s’élève dans les airs et se reposent à ras le sol tout en montant les escaliers et passant les différentes portes et pièces de la maison. La séquence ne dure qu’une trentaine de seconde mais elle est somptueuse tant elle inspire la tension, la peur et la frénésie d’une « course-poursuite » surréaliste.
Hideo Nakata (Ring, Dark Water) disait qu'il manquait "une dimension dramatique, sociale et émotionnelle" dans les films d'horreur d'aujourd'hui. A l’inverse de ce qui se fait dans la production de genre, Muschietti propose un film rempli d’amour. Il y a cet amour que se portent ces deux sœurs, l’amour de leur oncle qui se bat pour leur garde, l’affection d’une femme (Jessica Chastain, toujours aussi brillante !), qui progressivement se transforme en amour pour ces deux filles et sans oublier l’amour que l’esprit leur porte. Cet esprit tourmenté qui trouve en ces deux filles, le réconfort perdu d’autrefois. C’est quelque chose d’assez puissant émotionnellement et c’est suffisamment remarquable pour être souligné.
Le film se montre sous plusieurs points de vue sans jamais se montrer manichéen, pas même l’esprit tourmenteur ne sera taxé de « vilain ». Tour à tour, Mamá va solliciter le regard des filles, des beaux-parents, et plus intéressant d’un docteur en psychologie enfantine, chargé d’enquêter sur la disparition des filles et le fait qu’elles aient été retrouvées dans un état différent, conditionné par ces années de vie dans la nature. Cette situation semble être a priori sans réponse par la communauté scientifique. C’est un point de vue très présent qui révèle la portée surnaturelle de ce qui se passe à l’écran et permet d’avoir un retour de la communauté scientifique avec tous les enjeux qui en découlent (l’homme qui veut découvrir l’au-delà). Tous les points de vue se révèlent néanmoins intéressants et facilitent la compréhension du film.
Outre l’argument vendeur « Guillermo Del Toro », on peut aussi compter sur la présence au premier plan de Jessica Chastain (The Tree of Life, Zero Dark Thirty), étonnante dans ce rôle de bassiste tatouée aux cheveux noirs. Les fidèles de la série Games of Thrones reconnaîtront un Nikolaj Coster-Waldau discret mais pas moins attachant. Mais ces deux-là ne valent pas l’interprétation parfaite des deux filles, Megan Charpentier et Isabelle Nelisse, qui captivent littéralement et explose à l’écran. Il y a une métamorphose délicate et discrète dans leurs personnages qui permet de prendre pleinement en compte la difficulté de se réintégrer dans la vie courante (réel ?). Un rôle fort complexe et d’un enjeu dramatique qu’il convient de saluer. Quelques récompenses espoirs ne seraient pas déméritées.
Cependant, il est impossible de nier les quelques défauts du film, inhérents au genre. Ça reste relativement classique et très consensuel. La dernière partie s’essouffle brutalement et les facilités scénaristiques s’enchaînent, non sans donner un final d’une force émotionnelle intense. Ces erreurs de narration gâche le potentiel de cette intrigue qui avait fait jusque-là réalisé un quasi sans-faute et aura su conquérir, passionner et fait frissonner la salle entière. Lors de la remise des récompenses, la critique internationale avait préféré récompenser Berberian Sound Studio de Peter Strickland, jugeant Mamá « d’assez consensuel ». S’il faut s’en tenir aux dernières vingt minutes avant le plan final, il est vrai que le film se montre frustrant, conventionnel et presque grotesque.
Qu’à cela ne tienne, il serait dommage de se souvenir de Mamá pour ces quelques points négatifs. L'ensemble est un petit bijou de cinéma fantastique et d'épouvante. L’esthétique sombre ponctuée de touches bleutés et froides donne un véritable cachet au film. Son scénario est d'une inventivité fort appréciable dans un contexte où le genre a du mal à réellement se renouveler. Jessica Chastain était prédestiné à faire partie d’un film récompensé tant son rôle rentre dans la thématique de ce festival -"La peur est-elle plus féminine que masculine ?"- où elle est d'une rigueur, d'une dureté et d'une émotion juste. Le film ne fera peut-être pas autant l'unanimité lors de la sortie nationale. Mais l'ensemble du public de Gérardmer a salué ce film et il faut dire que l'expérience Mamá fût des plus stimulantes et stressantes du festival.
Andres Muschietti, un réalisateur à suivre de très près.