Ces dernières années un gouffre infranchissable s'est ouvert entre les critiques et le public qu'ils prétendent conseiller. La division tourne autour d'un combat d'influence illusoire, celui d'une caste de gardiens du temple auto-proclamés censés tenir entre leurs dix doigts la Vérité Vraie du Tu Peux Pas Comprendre Pauv' Populo et de l'autre un public bien décidé à s'amuser car c'est ce pourquoi il a payé. L'une des deux démarches est saine et repose sur l'envie de partager ce que l'on aime avec ses proches; l'autre… est celle du critique.
N'allez pas me faire dire que le public à bon goût, par contre, ça c'est au-delà de mes forces. Je suis cependant certain qu'il est conscient de la qualité de ce qui lui est proposé. Nul spectateur ne pensait que Battleship était un classique de l'histoire cinématographique. Pas une seule des demoiselles fascinées par Edward Cullen ne pensait que ses aventures représentaient un grand moment de cinéma. Non, mais ça n'empêche pas ces produits - surprise, les idéalistes, le cinéma est avant tout un business - d'avoir un attrait pour ceux qui se décident à les voir. Ils ont une valeur intrinsèque, celle de leur spectacle et celui-ci peut par sa démesure rentrer dans le domaine rare de l'inédit. Man of Steel est de cette catégorie.
Vous me direz que personne n'avait besoin de revoir Kal-El quitter la planète Krypton pour doucement s'écraser dans l'espace du Kansas afin d'être recueilli par deux américains perclus de bons sentiments censés lui apprendre la valeur de la vie humaine. C'est normal, vous êtes un geek. Tout ceci est dans votre ADN. Vous avez lu cette histoire des douzaines de fois, ses moindres variations sont la source même de frustrations intenses dans vos boites crâniennes. Vous n'êtes tout simplement pas le public visé par ce film. Nous ne représentons pas assez d'unités pour assurer le succès d'un film aussi coûteux; autant l'admettre.
Ma salle comportait un mélange hétéroclite de divers publics. Des demoiselles hilares au premier rang venues en masse se rincer l'œil tout en chuchotant. Des couples guillerets au milieu, ravis de voir tous ces trucs improbables. Dans le fond, des solitaires venus voir si ce serait aussi grave que Green Lantern. Et même quelques enfants, malheureusement. Bref, un panel diversifié de l'humanité urbaine. Tous venus voir le plus légendaire des produits de consommation courante faire ce qu'il est le seul à pouvoir légalement faire. Ils ne furent pas déçus, tout y est. L'histoire plan-plan des responsabilités judéo-chrétiennes portées par le champion d'une planète qui le redoute autant qu'elle l'aime. La sempiternelle métaphore christique appliquée avec la délicatesse d'un coup de shotgun censé déboucher les sinus. L'improbable explication que "sérieux, le mec il est plus fort sur Terre et tout à cause de notre soleil jaune et, euh, c'est un alien; ouais je sais il cause anglais et il est tout pile comme nous mais merde on est pas Thanagariens et c'est déjà ça de pris". Plus rapide qu'une balle. Plus puissant qu'une locomotive. Vous connaissez la suite.
D'un point de vue stylistique, ce film est la synthèse unique de points de vues opposés. Le tandem Goyer/Nolan offre au film son ton pompeux un peu déplacé tout en brodant une charpente efficace dotée d'un brin de pathos aux combats épiques de la fin du film. (Ils ont d'ailleurs réussi à éviter de donner une voix rocailleuse ridicule à Clark Kent et pour ça, il faut les aimer. Ne serait-ce qu'un peu.) L'énergie, la folie, les moments de démesure sont tous très Zack Snyder. Très, mais pas trop. J'ignore comment ils ont calmé le bonhomme mais je ne peux qu'applaudir l'effort. Oh, bien sur, il ne peut s'empêcher de filmer toutes les scènes intimistes caméra à la main comme un vidéaste amateur ivre d'argent. Mais cette folie démesurée qu'il conserve dans son crâne sert à merveille à mettre en scène l'éreintant combat aérien d'environ trois mois qui clôture le film. L'on sent un respect tout particulier remuer dans le cœur du réalisateur. Snyder, c'est rare, est chez lui; quelque part dans l'imaginaire d'un enfant de six ans. Il s'efforce durant tout le film de réaliser tout ce que Donner ne pouvait faire. La puissance pure de son Superman ridiculise tout autre super-héros. L'Original est de retour. Sa tradition aussi. Soyez bons mes enfants, ou sinon...
Ce fut un plaisir pour moi de vivre quelques instants de plus dans un monde où le bien gagne à la fin car Jésus de l'Espace il est américain. J'ignore précisément ce que les critiques reprochent à ce film. Sont-ils passéistes et donc attachés à la version de leur enfance? Possible. Sont-ils une bande de méprisables petits êtres de l'internet décidés à cracher sur ce plaisir populiste inoffensif et pourtant d'excellente qualité? Probable. Mais je sais une chose, Superman a enfin un film à la hauteur de ses capacités. Le reste est dépassé. Demandez à Brandon Routh, il pourra vous le confirmer.