Désigné depuis plusieurs semaines, grâce à une campagne à Oscars d'une redoutable efficacité, comme un film « déchirant et majestueux », Manchester by the sea ne déchire pas davantage qu'il n'impose une quelconque majesté. Il faut plutôt le voir comme un film excessivement discret et retenu, presque un paradigme d'understatement, qui partage avec d'autres films d'auteur américains (les deux derniers Ira Sachs, presque toute l'oeuvre de Kelly Reichardt) une manie de l'euphémisme et de l'ellipse, figures de prédilection d'un cinéma délicat et maniéré qui masque, autant qu'il peut, les faiblesses de sa dramaturgie.
Cette économie, Kenneth Lonergan croit sans doute qu'elle sert l'atmosphère tragique de son film. Son mélodrame se veut hivernal et c'est, en somme, son seul argument, sa seule véritable idée, posée dès les premières séquences (il neige) et déclinée pendant plus de deux heures (il neige moins à la fin). La neige recouvre le cœur de Lee Chandler (Casey Affleck) et sa vie ressemble à un hiver sans fin, ponctué de quelques crises : quand il touche le fond, il va se battre dans les bars.
Le film produit une drôle d'impression : celle de se tenir constamment de l'autre côté d'une vitre de glace, de ne jamais vraiment être au cœur de cet hiver dont il a pourtant tant besoin pour exister (alors qu'un seul plan de Sully parvient, en comparaison, à faire sentir le froid d'une matinée de janvier). C'est que l'hiver n'est jamais senti dans Manchester by the sea, c'est une idée, un truc de scénario servant à tracer la trajectoire symbolique du personnage. Trajectoire qui va, pour Lee Chandler, de problèmes de plomberie (il est concierge à Boston) à une partie de pêche partagée avec son neveu (Lucas Hedges) dont il devient (difficilement) le tuteur après la mort de son frère. Cette histoire-là, celle d'une reconstruction, est redoublée par un deuil plus ancien qui représente le cœur mélodramatique du film. Et pour qu'on le comprenne bien, on a droit à l'adagio d'Albinoni in extenso : étrange moment où le film, sans renoncer à ses petites manières (des ellipses, le visage toujours affligé de Casey Affleck) semble viser quelque chose de plus grand que lui – mais s'en écarte pour retrouver rapidement sa petite couleur fade et hivernale.
On atteint dans Manchester by the sea toutes les limites de l'understatement, on les dépasse même parfois, au point que certaines scènes frisent le ridicule. Lorsque Lee Chandler retrouve son ex-femme, les deux acteurs (Affleck et Michelle Williams) jouent l'impossibilité de se parler en se lançant dans un concours de bégaiements. Sans doute se sont-ils épuisés eux-mêmes à force de se maintenir dans la sphère d'un cinéma qu'ils croient « indépendant » - mais qui ne fait en réalité que lorgner vers les recettes du cinéma hollywoodien, rêve de gloire et de statuettes. Le jeu larmoyant de Michelle Williams n'a pas évolué depuis Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005) et Casey Affleck avait déjà la même voix traînante et brisée dans L'Assassinat de Jesse James (Andrew Dominik, 2007). Rien n'a changé pour eux depuis dix ans et l'hiver de Manchester by the sea est avant tout le leur. Les voir se fossiliser dans une énième production « indé » est, au fond, ce qu'il y a de plus triste dans le film de Kenneth Lonergan. Au point que l'on souhaite à l'un et l'autre une reconversion rapide dans le cinéma de genre, où des réalisateurs plus inspirés, plus drôles aussi (James Wan ou Eli Roth par exemple) pourraient leur redonner, peut-être, envie de jouer.
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