Mange ceci est mon corps, titre d’envergure cannibalo-christique, tient dans son fond comme dans sa forme de l’expérience à valeur expérimentale. Vendue dans son (non-)synopsis comme hypnotique et viscérale, elle l’est, en un sens, de part de sa carrure macroscopique, de par son allégorie du fluide (l’eau, stable ou mouvante, le lait, polysémique), sa tropologie du corps, de la chair (qu’on nous invite à bouffer, bon appétit!), et l’antinomie récurrente et physique des propositions qu’il met en place.


Ainsi, tout le film fonctionne sur la mise en place d’un exercice d’opposition(s) : le Noir contre le Blanc, le noir contre le blanc, le noir du mouvement, sauvage, affamé, noctambule, le blanc éclatant du lait/semence à la fois pur et fécond, le blanc des nombreux silences aussi, de l’immobilité, de la mort presque. L’Homme contre la Femme aussi, dominante par sa position sociale, dominée par le caractère de l’île. La jeunesse contre la vieillesse, la vieille femme agonisante qui dit faire corps avec l’île justement (Haïti by the way). Son immobilité contre son mouvement. Le froid contre le chaud, l’austérité de la grande bâtisse froide contre l’allégresse des rues. Inversion théorique des préceptes. L’esthète Michelange Quay (comme les frères, ça ne s’invente pas) semble être dans une recherche perpétuelle de la proposition visuelle, dont on peut concéder une certaine forme de radicalité, comme une quête de l’anagogie sublime, sans arc narratif véritable.


Et de cet audacieux foutoir bichromique, dé-formation (rapport à Beyonci oué) vaudou-biblique du fantasme créole côté mystico-mysterious, vous pourrez tout autant voir une mamie DJ qui semblent appeler un au-delà modulaire au travers de son synthé que des bébés blacks en file indienne et en costume qu’une reconstitution surréaliste de la Cène que Sylvie Testud qui boit un biberon awalpé dans la froideur de son lit d’occidentale. Et bien sûr une scène de carnaval.


De cette chimère colonialiste découle de fait une succession de tableaux léchés au symbolisme souvent vain, parfois même éléphantesque, mais avec ce qu’il faut d’harmonie et d’irrévérence pour que le vernis du film ne craque pas tout à fait sous sa propre ambition (prétention?). Aussi libre qu’abscons, il est difficile d’entrer réellement dans ce corps qu’on nous offre à manger, mais le film impose tout de même, discrètement, l'écho de la transe qu’il suggère, qu'il bâtit dans l'image et le son. Une transe obscure, quelque part entre l’ersatz negro de Weerasethakul et le feu de la sorcellerie vaudou.


Plusieurs optiques topiques sous les tropiques quoi (et c'est pas du MC Solaar). Un bon 5+.

oswaldwittower
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le 15 févr. 2016

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