Comme pour « Party Girl », la fiction se mélange ici à la réalité. L’histoire pourtant imaginaire est interprétée par une « famille » des gens du voyage (les Dorkel) ce qui confère une vraie authenticité au film et au drame qui se joue. Jean Charles Hue, ne cherche pas à intellectualiser les choses en sombrant dans une espèce de pathos malsain comme le ferait un Kechiche par exemple. Il nous immerge au cœur d’un terrain d’accueil de Gens du voyage, en ciblant l’histoire d’une famille, la mère et ses trois fils, dont Fred, l’aîné qui revient après 15 années de détention, venant remettre en cause toute velléité d’insertion. Car le questionnement est l’axe central du film. Comment survivre, malgré des conditions de vie de plus en plus difficiles ? Soit comme le souhaite Fred, en volant, ou alors en privilégiant le travail comme le préconise le patriarche ? En aucun cas, Hue ne porte de jugement, il dresse simplement un constat dur, réaliste et cohérent aux travers de chacune des personnalités. Plus fort encore est la toile de fond qu’il cerne parfaitement en décrivant l’ambiance et le mode de vie de ces familles de Gitans, avec la religion, leurs coutumes, leurs règles morales, leur solidarité, le respect des anciens, la protection des plus jeunes. Fred est l’élément perturbateur qui viendra bousculer les codes, entre une communauté structurée qui cherche à s’intégrer pour conserver ses prérogatives, et ceux qui regrettent la loi du plus fort qui sévissait il y a quelques années encore. Mais il ne faudrait pas voir « Mange tes morts » comme un documentaire, c’est bel et bien un film d’actions, punchy, excellemment bien filmé et monté. Il y a ici des réminiscences de films noirs des seventies avec cette manière décomplexée de porter le drame dans ce qu’il a de plus cru. Il n’est donc pas étonnant que « Mange tes morts » ait reçu le Prix Jean Vigo 2014, comme ses pairs (Assayas, Bozon, Klotz pour les plus récents) Jean Charles Hue est un esprit frondeur possédant intelligence et grandeur d’âme.