Commençons cette histoire par une autre histoire.
C'est l'histoire de potes gadjos rompus au monde des gitans par leur entourage depuis l'enfance.
C'est une histoire dans une région où métisser sa famille avec des gitans est courante, où le calendrier des fêtes gitanes fait partie du calendrier administratif et où les termes de évangélistes et de baptistes est aussi bien connu que celui de barbus ou de fantômas.
Cette histoire commence de manière très sympathique et se termine de manière très surprenante, une de ces fins de soirées pour déterminer qui a des couilles au cul.
Dans cette histoire, les 2 gadjos apprennent par l'un de leur gitans d'amis éphémères la puissance du pourtant si répandu "Mange tes morts!", invective qui peut sembler absurde, quasi burlesque, quoique...:
"Tu sais c'est quoi la pire insulte pour un gitan?
C'est tu lui dis -Va manger tes morts!-
Y'a pas pire pour un gitan!
Manger tes morts!Oh! T'imagines le goût que ça a? De manger ses morts!?"
Quand le pragmatisme rattrape le sens.
Quel intérêt de rapprocher cette histoire de celle que nous raconte Jean-Charles Hue dans son formidable second long-métrage distribué?
Celle-ci nous permet avant tout de distinguer le travail de colosse en terme de sincérité fait par Jean-Charles Hue et de le singulariser définitivement des initiatives d'autres cinéastes contemporains tel Kusturica Ou Gattlif, où le gitan est au mieux une figure grotesque fantasmée au pire une publicité pour SOS Racisme.
Pour les figures mortelles, le pragmatisme intervient avant le sens. La nécessité du vol intervient avant sa justification et la création de sens. Celui-ci n'a pas à être justifié, encore moins lorqu'il est la perspective dominante; il est question ici de créer de la beauté et de la puissance d'évocation pas de se proposer en avocat ou en médiateur.
Le vol, la violence sont le quotidien de beaucoup de campements et quartiers gitans; et loin de se prétendre chantre d'une sociologie autour d'une communauté qui fascine par sa marginalité, JCH, propose plus modestement (et avec ö combien plus de réussite) un simple regard sur ce monde si éloigné.
On parle ici d'immersion profonde, de presque deux décennies d'un quotidien partagé, d'aventures difficilement racontables et d'expériences que le réalisateur est venu chercher de lui-même puisqu'elles ne lui étaient pas forcément socialement prédestinées.
Quant à ce refus d'une posture morale attendue, JCH ne se conforme pas comme le voudrait une tradition sclérosée de l'intellectuel ou de l'entertainer français à présenter un point de vue, il est essentiel avant tout dans son film de créer une dramaturgie, et pour donner à celle-ci des fondations assez solides, il crée une mythologie du camp de gitan, une cartographie symbolique du monde socio-familial Yéniche: mon Prâl, ma-dame, ma daronne, mon oncle, le pouschka, LE Alpina... Un lexique qui malgré certaines idées reçues demeure très obscur à la plupart et permet donc en partie la mise en place de cette mythologie dans l'univers diégetique.
Et une des forces de JCH cinéaste est de jouer de l'épaisseur du mystère autour de son sujet.
Chez les gitans, la vie n'a clairement pas la même valeur, un nom n'a pas le même sens et l'âge d'homme n'intervient pas à une période dite. La mythologie du campement.
Car il est question de l'érection de figure héroïque dans ce cinéma. Difficile de parcourir une note de préparation ou un entretien avec l'un des chefs de postes sans tomber sur une évocation de "la prisonnière du désert" de John Ford. Difficile de trouver référence plus concerné par la création de mythes et de figures héroïques sociales et contemporaines.
Mais ce désir de construction n'est réalisable que pcq le cinéaste parvient très rapidement à faire accepter à son spectateur l'aspect parallèle de la communauté gitane et la différence sociale et idéologique absolue entre le monde urbain sédentarisé et ses voisins de camp ou de quartiers périphériques.
Pour ce faire, JCH réussit à amener par son tout jeune chef-opérateur (Jonathan Ricquebourg dont il est indispensable de saluer le travail) à construire une poésie par l'image. L'idée du cuivre tout d'abord semble présente dans la colorimétrie dès les premières images de cette chasse en KX. Les constructions de cadre en contre-plongée inscrivant les personnages dans le ciel, les approchant plus encore de figures mythologico-héroïques, les alternances de système de caméra renforçant la dramaturgie et l'intention des séquences sans sacrifier la constance d'un projet esthétique sur l'ensemble de celles-ci.
Comme dans la BM du seigneur, l'onirisme, les espaces de flottement de l'esprit ont la part belle. Et si c'est en partie par l'utilisation de très beaux inserts ou des plans rendus abstraits par le cadrage et semblant appartenir à l'art-vidéo; c'est aussi grâce au traitement du son.
On a une véritable impression de plaisir à créer de l'équipe son au sein de certaines séquences, mixage inhabituel, décalage son-image... Toutes sortes d'outils beaucoup rejetées en France et qui participe ici à une espèce de travail de sound-designer à la française au coeur du film d'un véritable artiste. Car comment ne pas penser tout de suite à David Lynch, autre artiste poly-médium, quant une tel souci est apporté à l'expérience du spectateur par le traitement du son.
C'est aussi de son, mais de langage qu'il est question dans le projet de faire approuver au spectateur la différence absolue entre son monde et celui qu'il va contempler.
On sait pour les plus jeunes, depuis Kechiche, l'importance du langage dans le cinéma français. Il participe à une cartographie du cinéma français puis en fonction de la réussite dans son traitement permet de construire un paysage culturel mental de la société française.
Parce que de la même manière que l'on peut-être de la même planète mais pas du même monde, on peut évoluer dans la même société dans des univers différents.
Encore une fois c'est ce que nous apprennent ces accents, ces expressions et ce lexique si caractéristique. Des expressions que l'on entendra pour la plupart d'entre nous que dans une salle de projection alors qu'elles remuent l'air à quelques kilomètre des habitations et des modes de vie citadins.
JCH semble aider son spectateur à admettre comme figures et modèles mythologique ses personnages et son univers, par une construction témoignant de l'opposition du monde sédentaire-urbain/gitans qui va venir contraster par sa poésie, son surnaturel et son langage avec la normativisation de l'espace dominant de notre société.
"...puis là il a sorti un schlass et sans raison il nous a coursé"
"Manges tes morts!!!" Des quartiers sédentarisés du sud-est au campement yéniche du centre, la vindicte pourrait être l'équivalent du "King in The North!!!" des frondeurs suivant Stark dans les premières saisons de GOT. Adressé au gadjo, l'exclamation a un air triomphaliste qui pourrait illustrer le basculement fait depuis le milieu des années 90 par les communautés gitanes dans certains domaines.
Mais ceci importe-peu, importe plus la quasi certitude de voir JCH avoir son prochain film produit avec ou sans Sac-à-Mort Stévenin!
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