Je m'appelle Frank. La nuit est mon terrain de chasse, les rues un peu glauques, les sorties de boîtes. Mon univers me tend les bras. Je la suis de loin, jusque chez elle, avec les ténèbres pour seule compagn. Elle se retourne avant d'ouvrir la porte de son appartement. Le temps d'un cri et la larme d'argent s'enfonce déjà. Elle est belle. Elle me fascine. Sa chevelure est flamboyante, parfaite. Le jour, je me terre dans mon atelier de mannequins et je cherche des victimes sur les sites de rencontres. Même si elles sont toujours trop audacieuses pour moi, trop extraverties, trop libres et émancipées.
Elle me sourit et se passe la main dans les cheveux. Trop de questions. Les gens me regardent. Des convulsions m'assaillent. C'est l'écran blanc. Et dans les toilettes, le miroir me renvoie un reflet que je déteste. Je lui plais. Chez elle, elle se déshabille et se cache. Sa féminité m'agresse. Ses tatouages sont de trop. Je me vois au dessus de son lit. Elle sait ce qu'elle veut et prend les choses en mains. Je me raidis et je l'étrangle. Le démon rentre dans sa tanière et le rasoir commence à danser sur la peau de son front. Puis je me penche au dessus du lavabo de faïence blanche, l'eau froide un peu rougie. Le miroir brisé me réfléchit à l'infini. Ses cheveux coifferont le crâne de mon nouveau mannequin que je restaure. Mes conquêtes s'animent l'espace d'un instant, avant que le plastique ne reprenne ses droits et n'efface la chair et la chaleur de leur corps.
Le magasin est encore fermé. Son petit poignet cogne contre le rideau de fer baissé. Elle semble fascinée. Elle prend en photo les mannequins pour leur donner vie. Elle est belle, un peu artiste. Je sens quelque chose monter en moi. Je la retiens et lui montre mon travail, ma restauration. Ses yeux s'éclairent soudainement. L'ovale de son visage est parfait, comme ses longs cheveux blonds qui tombent en cascade. Comme ses lèvres pleines. Elle est gauchère.
Mon atelier est sombre et glauque. Pareil à l'antre d'un tueur en série. Des bras, des jambes, des têtes. Des corps démembrés. Sur des étagères et dans les bacs. J'ai une peur panique de devenir comme ces mannequins, que ma chair soit remplacée par leur matière dure et froide.
Dans la rue, chaque jeune fille devient une proie potentielle, jouet de mes errances aux notes électroniques stridentes et entêtantes. La caméra me suit dans ma folie. Elle est de tous les instants. Elle donne corps à mes obsessions, mes peurs que le reflet du miroir éprouve. Que j'éprouve. Je les observe à leur insu. Puis je m'approche. Parfois, elles prennent peur et courent pour m'échapper. Elles ne font que retarder l'inéluctable.
Elles serviront pour mon travail, celui qu'Anna aime. Elle est photographe et tente d'exposer ses travaux. Je suis de tous ses clichés, la tête penchée sur mes créations, mes mains caressant ce qui est figé avec une douceur toute romantique. Je voudrais tant que mes mains courent sur sa peau. Elle est jolie, avec sa queue de cheval blonde. Mes hallucinations suraigües blanchissent l'image et la troublent. J'enchaîne les visions macabres de mes créations au regard fixé dans le vide. Elles ressemblent toutes à maman, qui se donnait pour s'abandonner à de multiples amants qui ne l'aimaient pas. Ne sors pas ce soir, s'il te plait. Reste avec moi, maman.
Anna semble être la seule qui me comprenne. Les moments partagés m'envoutent. Je me vois dans le film, en noir et blanc, en train de malmener une de mes conquêtes. Sa beauté et son sourire complice me font reprendre le dessus. Pour que je réalise au détour d'une parole suspendue qu'elle a déjà quelqu'un dans sa vie. Elle aussi ressemble à maman.
Rien ne change dans le miroir. Le visage de l'innocence est toujours là. Mais quelque chose s'est cassé. Mais elle sera à moi parce qu'elle me manque et qu'elle était gentille avec moi. Je te la ramènerai, Frank, c'est promis.
Behind_the_Mask, en train de nettoyer sa machette.