Il suffit de quelques pas de côté pour parvenir à se distinguer : alors que Marcel le coquillage, star des courts sur YouTube créée par Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate, suivait une voie royale pour se faire dévorer par les géants de l’animation, le duo a tenu à garder son indépendance avant de passer au long métrage. Celui-ci, intégrant le stop motion au sein de prises de vues réelles, reprendra donc le dispositif initial visant à laisser la parole à ce petit coquillage livré à lui-même dans une maison qui semble, avec l’esthétique Instagram, tout droit sortie d’une publicité pour Airbnb.
La mignonnerie s’exhibera donc sans complexes – au risque de provoquer le rejet de certains, qu’on laissera bien volontiers maugréer de leur côté, mais ne doit pas être pris comme une fin en soi, tant le film regorge d’inventivité et de richesses qui transcendent son écrin esthétique.
La maison est avant tout un terrain d’aventures, proposant de revisiter les proportions afin d’être exploitables pour un être minuscule qui fait de la patience et de l’ingénierie ses seules chances de survie, rappelant la direction artistique des studios Aardman. Mais ce point de départ n’est lui-même qu’un prétexte, tout comme le sera là quête de retrouvailles avec une famille exilée.
L’essentiel du récit se situe davantage dans sa propension à dériver vers le conte philosophique, en transformant cet environnement intime en caisse de résonnance décalée de tous les enjeux du vaste monde. Par le dispositif narratif, évidemment, puisque le film se présente comme une sorte de documentaire où un humain filme Marcel dans son quotidien, et adopte la forme d’un montage cut et d’une saisie sur le vif d’une vie solitaire. La candeur du sujet filmé va rapidement mettre à mal l’éthique du documentariste, qui ne souhaite pas répondre à des questions, se faire entendre ou interférer dans les actions du coquillage, avant de se voir contraint à se dévoiler, et laisser paraître quelques failles toutes personnelles.
La forme du documenteur permet aussi de questionner le succès rencontré par le personnage dès sa naissance sur YouTube, à la faveur d’un appel à l’aide qui fait de lui une star, avant la profonde désillusion des retombées d’une telle notoriété : « It’s an audience, it’s not a comunity » conclura avec un grande sagacité le mollusque, contraint d’agir sans compter sur ceux qui cliquent et le transforment en meme.
Le film n’est évidemment pas sans défauts, notamment dans son abus de musique et sa conception un peu naïve du long métrage, qui doit absolument atteindre les 90 minutes, occasionnant quelques passages à vide et des séquences de remplissage. Mais le temps saura faire vraiment sens dans le cœur discret du film, dans la décrépitude d’une aïeule tentant, avec tendresse et bienveillance, de préparer sa descendance à l’imminence de sa disparition. En écho aux drames humains laissés en arrière-plan (la maison est le lieu d’une séparation, puis le refuge d’un cœur brisé), le récit initiatique parvient, dans un cadre intime et avec le nombre le plus restreint de personnages, à faire surgir les grandes émotions intemporelles.
(7.5/10)