Où l'on apprend que la mise en scène de sa propre vie ne peut passer par celle des autres.

Ah que je te sens venir, film qui sera détesté et adulé (mais surtout détesté), pour ton traitement savant et sans compromis (si nous parlons de la version longue de 3h, seule à valoir le coup). Ah que je vais t'étreindre et te défendre contre la meute, toi qui a su si justement me parler.

Qu'est-ce que Margaret ? Voilà la question que tout le monde se pose en regardant le film ET c'est la première question à NE PAS se poser. Oubliez un instant vos idées sur ce qu'est un film et ce qu'il doit vous donner, vous pourvoir, et prenez le phénomène tel qu'il se livre.

Le dernier mot était bien un verbe (livre) mais il me permet une habile transition vers cette idée que Margaret se veut aussi profond et riche qu'un Livre : il tourne ses pages devant nous et toute la mise en scène nous abreuve des détails les plus infimes dont nous avons besoin pour faire corps (et âme) avec le drame humain qui nous est présenté.

Et là : on pense tous que ce drame, c'est cet accident au début du film, le sang, les pleurs, blablabla. Non non non. Je dis non, voyons. Relisez le film un instant, et voyez son nom : Margaret, le poème (lu en classe dans le film) de Gerard Manley Hopkins. (Je fais mon cultivé mais je ne connaissais pas hein).

Je le reproduis ici (vous m'en souffrirez poils au nez) :

Márgarét, are you gríeving
Over Goldengrove unleaving?
Leáves, líke the things of man, you
With your fresh thoughts care for, can you?
Ah! ás the heart grows older
It will come to such sights colder
By and by, nor spare a sigh
Though worlds of wanwood leafmeal lie;
And yet you wíll weep and know why.
Now no matter, child, the name:
Sórrow's spríngs áre the same.
Nor mouth had, no nor mind, expressed
What heart heard of, ghost guessed:
It ís the blight man was born for,
It is Margaret you mourn for.

En substance : Margaret, tu fais le deuil, le deuil de l'automne et des feuilles qui tombent ? T'inquiète, en vieillissant le coeur se durcit et on s'émeut moins de la mort. Pourtant tu vas quand même pleurer mais tu auras appris que le désespoir et le printemps c'est la même chose. En fait la destinée de l'humain Margaret, c'est bien ça, le renouveau par la mort, le changement, et tu fais continuellement ton propre deuil.

Voilà le film : le deuil de soi vers la naissance nouvelle. Les cycles de vie entre les gens, que j'ai vus représentés par les relations des gens entre eux (entre Lisa et sa mère, son amant, son frère, ses profs, ses camarades... et aussi entre la mère et son amant à elle (un Jean Reno étonnamment bon, tiens)).

"People don't connect", livre Lisa, "it's just what I observed".

Morale d'une justesse confondante à qui pourra accepter le deuil de soi-même.
IIILazarusIII
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 30 nov. 2012

Critique lue 624 fois

1 j'aime

IIILazarusIII

Écrit par

Critique lue 624 fois

1

D'autres avis sur Margaret

Margaret
Nicolas_Robert_Collo
9

Chef-d'oeuvre incompris

PUTAIN. Arrêtons-nous sur ce film un moment, s'il-vous-plait. Là je viens de voir un film que je n'aurais pas pensé trouver si extraordinaire - il l'est, assurément. Nan vraiment, le film, tourné en...

le 8 févr. 2015

9 j'aime

4

Margaret
CinemAd
7

Le Nouvel Hollywood n'est pas mort.

2005, Lisa est une jeune lycéenne new-yorkaise dont la vie bascule le jour où elle détourne l'attention d'un chauffeur de bus et provoque un accident. Pétrie de culpabilité, elle entame une poursuite...

le 31 août 2012

9 j'aime

Margaret
Sergent_Pepper
5

As you strike it

Remonter aux sources d’une filmographie d’un réalisateur inconnu avant un succès peut permettre de dénicher des secrets bien gardés du septième art ; mais cela peut aussi confirmer les raisons pour...

le 1 mars 2017

6 j'aime

4

Du même critique

Forrest Gump
IIILazarusIII
9

Pas l'histoire d'un idiot, l'histoire d'un "surhomme".

Forrest Gump est pense-t-on souvent l'histoire d'un idiot, qui est le prétexte à revisiter l'histoire des U.S.A.. Son regard naïf est idéal pour nous permettre de revivre ces moments clés avec une...

le 10 déc. 2010

213 j'aime

16

Wall-E
IIILazarusIII
9

Un poème, un poème.

Mettre 9 à Wall-E ça me fait bizarre, mais quand je clique sur 8 je ressens comme un sentiment d'injustice. Les plus scrupuleux me pardonneront cet accès de générosité. Wall-E, je le vois comme un...

le 17 déc. 2010

103 j'aime

11

Hotline Miami
IIILazarusIII
9

Un délice pour philosophe.

Alors là faut pas déconner. Hotline Miami est énorme. É-no-rmeuh. C'est une expérience intraitable sur la représentation de la violence. Mais attention : bien qu'ils soient délicieux, je ne parle ni...

le 12 janv. 2013

89 j'aime

10