Il n'y a à l'heure d'aujourd'hui que 9 films sur plus de 1500 que j'aie noté auxquels j'accorde la note de 10. En voyant la moyenne que se prend celui ci ici je me suis dit que l'écart valait bien que j'en rédige une critique.


Une vision réductrice de cette œuvre magistrale serait de qualifier Margin Call de "film sur la crise de 2008", se différenciant des autres films sur la crise de 2008 par le choix d'adopter en bonne tragédie une unité de temps (le film ne couvrant qu'une journée, enfin principalement la nuit séparant une journée presque ordinaire de celle où la crise éclate au grand jour) et presque de lieu (le film s'écartant peu du siège de la grande société d'investissement New Yorkaise dont il parle). Et d'en traiter à travers le regard, non pas de ses principales victimes (si certains y laisseront leur carrière il n'y a pas ici de personnage qui ne semble à l'abri du besoin), ni même de ses responsables de premier rang (le film, à l'opposé d'un Too big to fail ou autre Inside Job s'étendant très peu sur l'origine des produits financiers toxiques) mais de ses acteurs principaux, les traders et dirigeants de grandes sociétés financières et analystes en risques qui les alertent. Le tout traité d'une manière très froide, presque documentaire, comme une succession de scènes de vie dont le spectateur restera seul juge, impliquant tout juste une dizaine de personnages, tous des représentants typiques du milieu de la finance si à des échelons hiérarchiques différents, et traités presque à égalité dans un film extrêmement choral.


Ceci explique peut être pourquoi, malgré une interprétation parfaite et une réalisation sans failles, une partie du public n'a pas trouvé ce qu'elle attendait dans ce film. Pas de dénonciation explicite et pleine d'emphase ici, pas de points sur les i, pas d'explication technique et détaillée quant aux causes de la crise, ni d'illustration phase par phase de son escalade.

Des critiques de droite, ne comprenant manifestement rien à l'objet du film, vinrent même y voir une défense du monde de la finance, prenant l'exposé de sa manière de s'auto-justifier pour écarter sa propre responsabilité pour un plaidoyer, ou celle dont le film montre ses serviteurs comme des humains très humains, capables de s'attrister des conséquences de la crise sur la carrière de leurs proches, ou de pleurer la mort de leur chien, comme une ode à ce type d'humanité.


Je n'irai pas par quatre chemins, tous ces gens (comme ceux qui ici donnent à ce film une note inférieure à 9,9) ont tout faux. Pour la simple et bonne raison que le vrai sujet de ce film n'est pas la crise de 2008, mais ce qui la rend possible, elle et une infinité d'autre (et quelque part tout ce qui cloche avec l'espèce humaine).


C'est précisément de cette humanité à œillères que le film traite, par petites touches subtiles, comme l'illustre très bien sa scène finale, conclusion de l'ensemble extrêmement bien trouvée.


Où le manager joué par Kevin Spacey, qui la veille a viré sans hésitation les 3/4 du personnel sous ses ordres, et la nuit suivante participé tout en étant conscient des conséquences, avec à peine quelques hésitations, à des actions allant faire sombrer le monde dans la crise se révèle soudain fragile et humain en fondant en larmes... en raison de la mort son chien (un chien atteint d'un cancer qu'il s'acharnait jusque là à maintenir en vie à coup de couteuses opérations, en faisant par ailleurs une belle métaphore du système financier).


Outre de notre capacité de nous aveugler sur la réalité elle même quand une illusion, comme ici le miracle des produits financiers, nous apparait préférable, de celle que nous avons, pour paraphraser un politique français de triste mémoire, à accorder plus d'importance à notre (con)frère qu'à notre voisin, à notre voisin qu'à notre concitoyen et à ce dernier plus qu'à un étranger. Et à partir de là d'être capable de nous accepter, rouages que nous sommes d'un système écrasant, car tout rouages que nous sommes nous ne cessons jamais d'être humains ; et que, comme Hitler, nous aimons beaucoup les chiens, enfin notre chien. Et de nous justifier parce que, bien entendu, quel que soit notre échelon hiérarchique nous ne sommes jamais que rouages d'un système, ce dont on ne manquera pas de se rappeler, pour le condamner, le jour où il tournera mal, tel ces analystes financiers se rappelant soudain alors que tout s’effondre qu'ils auraient peut être mieux fait de consacrer leur intelligence à construire des ponts ou lancer des fusées.... Si seulement c'était aussi bien payé...


Margin call n'est pas un film sur la crise de 2008, ni même sur le système financier mais sur quelque chose d'encore plus terrifiant, notre très humain système de pensée. Un problème encore plus systémique qu'aucune crise.

Antonio-Palumbof
10

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le 4 déc. 2017

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