Une oeuvre longtemps très difficile à voir que cette Marguerite de la Nuit, signée par une des bêtes noires de François Truffaut quand il était critique aux Cahiers du Cinéma !
Il s'agit d'un film tourné intégralement en studio, où le décorateur Max Douy recrée le Paris des années 1920 et son atmosphère nocturne de manière très stylisée en utilisant beaucoup de gris pour que les taches de couleur : bleu pervenche, rouge, jaune, vert, s'en détachent, tout comme le noir et le blanc du costume de Monsieur Léon, la figure diabolique de l'histoire, interprétée par Yves Montand. De toute évidence, le réalisateur a bénéficié d'un très gros budget pour un film très personnel : il en a écrit le scénario et son épouse en a signé les dialogues. Cependant, les éclairages trop lumineux suppriment souvent toute atmosphère voire la vraisemblance , la cohérence dramatique, et, plus grave encore, ils enlaidissent le beau visage de Michèle Morgan ! Je n'ai pas trouvé, contrairement à Paul Vecchiali, que le personnage a été changé à travers elle en "pimbêche petite bourgeoise", mais au contraire qu'elle l'incarne sinon avec finesse, du moins avec beaucoup de sincérité et d'émotion (dans le livre, c'était une rousse aux yeux verts à la vertu plus élastique, disons). Seulement à part Palau qui joue Faust âgé et quelques seconds rôles, il faut bien reconnaître que les deux autres acteurs principaux sont plutôt mal choisis, et Autant-Lara n'en tire que le minimum : Jean-François Calvé est beau, fade et peu intéressant en Faust jeune( mais cela renforce la valeur du sacrifice de Marguerite) et surtout Yves Montand est raide comme un piquet et "pose" en diable désabusé mais amoureux pour la première fois (à mon avis, Philippe Clay aurait été meilleur dans le rôle). On sent bien qu'il manquait d'une expérience d'acteur pour le film et d'un directeur d'acteurs plus subtil. Il me semble aussi qu'Autant-Lara ne croit pas assez au pouvoir du cinéma, et qu'il se croit obligé de tout surligner, alors qu'il aurait fallu procéder davantage par allusion pour mieux glisser dans le tragique, comme le fait Mac Orlan dans le livre... Enfin, si on compare cette Marguerite avec La beauté du diable, une autre version de Faust, merveilleusement interprétée par l'immense Michel Simon et un très bon Gérard Philipe mais trop lourdement philosophique et métaphysique, les deux nous laissent le sentiment de rendez-vous manqués, mais ils restent des oeuvres intéressantes qui valent le détour !