Larraín s’éloigne du schéma classique héroïsant du biopic (début, apogée, déclin) pour se concentrer sur une période bien spécifique : la dernière semaine de la vie de Maria Callas. Cette approche intimiste permet au film d’explorer la psyché de l’artiste. Les frontières entre réalité, souvenirs, hallucinations et fantasmes se brouillent, offrant un récit riche en créativité, parsemé d’instants d’humour – parfois cocasses, parfois ironiques – qui stratifient la mélancolie ambiante.
La relation entre Callas et Mantrax, son dernier "compagnon" de route, joue un rôle pivot qui éclaire avec subtilité les thèmes de l’addiction, de l’automédication et de la solitude.
Si l'aura intimidante d'Angelina Jolie peut initialement dérouter, elle incarne ici une Callas complexe, mêlant une force de caractère imposante – sa carapace –, à une sensibilité à fleur de peau. Cette dualité nourrit un jeu nuancé, oscillant entre charisme et vulnérabilité, qui touche profondément ; une Angelina Jolie donc qui parvient à transcender ses propres limites plastiques d’icône hollywoodienne, et dont la ressemblance avec La Callas devient in fine évidente.
Contrebalançant avec ses très réjouissantes audaces, l’élégance de la photographie du film, la sobriété et la précision de sa mise en scène évitent à la narration de sombrer dans la confusion. Et Paris, filmée à travers des lieux emblématiques, est ici sublimée — traduisant sans nul doute l’amour que Maria Callas devait porter à notre capitale.
Cependant, certains choix scénaristiques peuvent décevoir. Les dialogues, parfois inutilement intellectuels ou gentiment métaphoriques, peinent à convaincre. Ces échanges trop verbeux auraient gagné en silences, plus évocateurs pour traduire les non-dits et soutenir la délicatesse générale du film. Par ailleurs, quelques débuts et fins de séquences maladroites de clichés éculés nuisent à la subtilité et nous font parfois sortir du film. Une approche plus lacunaire aurait renforcé davantage l’ambiguïté et l’impact émotionnel du récit. (De la litote Pablo, de la litote !)
Le film atteint néanmoins des intensités émotionnelles notamment grâce aux enregistrements de Maria Callas, entendus tout au long du film. Ces moments procurent une charge nostalgique, rappelant à quel point cette diva a marqué l’histoire de la musique lyrique.
Un regret persiste : celui de ne jamais voir le biopic que Ronit Elkabetz rêvait de réaliser avec son frère Shlomi sur les derniers jours de Maria Callas, dans lequel elle aurait elle-même incarné la diva. Ce projet, interrompu par la disparition prématurée de l’actrice en 2016, trouve un écho poignant dans Les Cahiers noirs (2021) de Shlomi Elkabetz, document d’archives et journal intime filmé sur plusieurs années. On y suit, entre autre, le combat de sa soeur Ronit contre la maladie : le tout rythmé par les arias les plus emblématiques de Callas, qui mettent en miroir la même déchirante fatalité entre Maria et son image de diva La Callas et Ronit Elkabetz avec son personnage de Viviane (avatar de sa propre mère, qu'elle incarne dans trois de ses films).
Mes recommandations pour aller toujours vers de bons biopics, sur le chant lyrique, ou bien des oeuvres qui mêlent aussi bien rêves, souvenirs, fantasmes et réalités (alternatives) :
- Huit et demi (1963) de Federico Fellini
- La Mort de Maria Malibran (1972) de Werner Schroeter
- Edvard Munch, la danse de la vie (1974) de Peter Watkins
- Mishima (1985) de Paul Schrader
- Les Cahiers Noirs I - Viviane / Les Cahiers Noirs II - Ronit (2021) de Shlomi Elkabetz.