Rivoire et Carré : recette à l'ancienne

Choisissez une histoire vraie, ça plait toujours à un public ayant du mal avec la véritable originalité artistique.


Prenez un personnage que le public ne pourra que plaindre, Marie Heurtin, née aveugle, sourde et muette. Montrez-la adolescente (14 ans), sous les traits d’une inconnue (Ariana Rivoire) qui n’a peur de rien, surtout pas de s’agiter dans tous les sens. L’émotion obtenue sera renforcée par le fait que l’actrice est elle-même sourde et muette.


Confrontez Marie à une religieuse, Marguerite, qui va tout donner pour la faire sortir de sa solitude, de son enfermement intellectuel, ses facultés restant embryonnaires pour cause d’incapacité à communiquer normalement avec ses semblables. Donnez le rôle de Marguerite à une actrice à la réputation irréprochable (Isabelle Carré), qui saura donner à son personnage l’obstination et la force de caractère nécessaires, tout en affichant par son physique une fragilité qui ne pourra que crédibiliser son personnage.


Engagez un réalisateur expérimenté (Jean-Pierre Améris), qui évitera soigneusement toute recherche ostensible dans les cadrages, le montage ou la mise en scène. Discrétion, pudeur et sensibilité dissuaderont le grand public, une nonne et sa protégée sur l’affiche achèveront de bien cibler le sujet. Présenté comme intimiste, le film doit l’être effectivement. Effet renforcé par une BO discrète mais agréable, signée par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton. N’oubliez pas une petite dose d’humour pour dédramatiser certaines situations, effet garanti lorsqu’il agit aux dépens de la mère supérieure (Brigitte Catillon) du couvent abritant l’institut de Lamay, non loin de Poitiers (quelques paysages agréables).


Mélangez tranquillement et faites mijoter à feu doux pendant les repérages, le tournage, le montage, la distribution et la promotion.


Vous obtenez un film qui attirera exactement le public auquel il est destiné. Les âmes sensibles se réjouiront de voir une jeune femme vouée à passer sa vie dans son monde intérieur, sortir de sa carapace pour s’épanouir, grâce aux efforts et à la complicité établie avec Marguerite, sa bienfaitrice. Les curieux remarqueront qu’on l’appelle Sœur Sainte-Marguerite. Les cinéphiles purs et durs qui dédaigneront le film seront qualifiés d’ignares insensibles. Ces mêmes cinéphiles hausseront tranquillement les épaules en préférant voir Interstellar et/ou Mommy selon les goûts.


Marie Heurtin est évidemment à mi-chemin entre ces deux visions opposées. Le film a le mérite de mettre en lumière deux personnes que la postérité pourrait négliger, même si la méthode mise au point par Marguerite (fin XIXème), essentiellement basée sur l’utilisation du toucher, est toujours appliquée. Malgré tout son amour pour ses personnages, Jean-Pierre Améris ne peut empêcher certaines similitudes avec L’enfant sauvage de Truffaut et surtout Miracle en Alabama d’Arthur Penn, la comparaison n’étant malheureusement pas à son avantage.


Ce que le film présente de Marie Heurtin amène un certain nombre de réflexions. Comme est-ce possible que ses parents (Gilles Treton et Laure Dutilleul) baissent les bras, alors que la jeune fille affiche de réels sentiments filiaux (surtout vis-à-vis de son père) et qu’elle n’est manifestement pas une demeurée ? S’ils ont été en mesure de lui inculquer un début d’éducation, on comprend mal leur renoncement. Quand on a appris à marcher et qu’on est capable de se déplacer seule, au point de grimper aux arbres pour trouver le repos, on est probablement capable d’apprendre bien autre chose. On remarque également que l’objet favori de Marie est un danger potentiel, aussi bien pour elle que pour son entourage. Comment des parents responsables ont-ils laissé Marie en possession de cet objet ?


Trouver un lieu d’accueil pour Marie, c’est la priver de ses repères et courir le risque qu’elle régresse. A-t-elle le bagage nécessaire pour supporter la confrontation avec les autres pensionnaires de l’institut ? En faisant la connaissance de Marie, Marguerite considère qu’elle trouve sa voie. Il lui faudra beaucoup de détermination pour obtenir de vrais résultats. Le film montre l’enchainement des circonstances, sans négliger le fait qu’il s’agit d’une suite de petits coups de pouce du destin. La complicité ne s’établit pas aisément. Bien que rappelant énormément Miracle en Alabama le moment crucial met mal à l’aise, car Marguerite qui décide de coiffer Marie, en fait un véritable combat physique. Comme Arthur Penn, Jean-Pierre Améris met en évidence que ce qu’on appelle l’éducation est en quelque sorte une mise au pas, pour que l’apprenti se conforme aux usages d’une société. Le malaise vient du fait que le spectateur ne ressent pas cela comme un effort nécessaire, mais comme une contrainte décidée arbitrairement par Marguerite, décision ayant la chance de provoquer un déclic. Finalement, Marie ne demande qu’à apprendre. Ce qui n’empêche pas un dénouement mélodramatique.


La recette Rivoire et Carré conviendra particulièrement à un public ne demandant qu’à être séduit, puisque déjà convaincu. Enfin, s’il laisse parfois perplexe, le film mérite néanmoins d’être vu.

Electron
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le 20 déc. 2014

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