Une dystopie si proche

Le film démarre sur la Terre, ou la détective Aline et son coéquipier androïde Carlos piègent une hackeuse qui cherche à « déplomber » les robots, c'est à dire retirer leurs limitations. Dehors une horde de chômeurs cassent du robot et réclame une vie meilleure. Alors qu Aline retourne sur Mars le contraste est frappant. C'est propre, calme, les robots effectuent les tâches pendant que l'élite humaine profite de la vie. Jérémy Périn a souligné à quel point son film est le reflet des utopies de nos milliardaires actuels, qui rêvent de laisser derrière eux les problèmes terriens pour se recréer un petit Eden privatisé. Une utopie soutenue par des industriels dont les nouveaux produits, les organiques, arrivent à point nommé à un moment où les robots sont de moins en moins bien vus, entre discrimination et obsolescence. Aline et Carlos partent sur la piste d'une jeune étudiante disparue. Le film utilise ce schéma de l'enquête pour révéler habilement les dessous de Mars et aborder sous différents angles notre relation à l'altérité, à l'humanisme et à la conscience robotique, mais également au travail, à la place dans la société et à ce qui nous lient.

C'est sûrement la grande force du film, qui ne tombe jamais dans l'exposition lourde. Tout ne sera pas expliqué et cela favorise l'immersion dans un monde qui ne nous prend pas par la main. J'ai pu être frustrée à la fin du film car j'aurais souhaité plus d'approfondissement sur certains points. Mais au contraire de nombreux films qui veulent trop en dire et restent superficiels, Mars Express fait le pari inverse : en dire moins, mais bien traiter son sujet avec consistance et cohérence et garder une part de mystère. A vous de voir si ces limites choisies vous conviennent, les points en suspens font que je ne crie pas au chef d’œuvre, mais plutôt au bon film.

Jérémy Périn se rapproche de ce qu'il nomme de la « hard SF », une science-fiction qui se base sur la science, sur les machines et la mécanique et évite les artifices de scénario qui se baseraient sur des technologies improbables. Exception faite de la gravité, qu’il a ignorée davantage pour des raisons esthétiques liés à l’animation. Il explore encore les questions de la sentience des robots et en parallèle de nos comportements (a)moraux envers eux. Le robot est clairement un subalterne aux droits restreints, y compris lorsqu'il est un « sauvegardé » c'est-à-dire l'émulation d'une personne décédée à partir de ses souvenirs. Leur cas fait particulièrement débat car ces anciens humains n'ont plus les mêmes droits ni la même capacité à s'entretenir. Ils ne sont à la fois ni robots ni humains. Le réalisateur pose aussi la question de « l'ailleurs », de notre quête d'un lieu où nous serions chez nous et où nous serions mieux « qu’ici », que ce lieu soit physique ou virtuel.

Mars Express est également riche sur les détails de son univers grâce à des sous-intrigues qui permettent de le dévoiler davantage sans alourdir le sujet. L'animation du film est élégante ; j'ai beaucoup aimé comment le réalisateur différencie la manière de se présenter entre robot et humains, comme comment Carlos et Aline courent différemment. Mais je peux souligner également la direction artistique générale, assez adulte, qui favorise une ligne claire et un résultat très lisible. Le monde est extrêmement crédible, avec ses problèmes de mise à jour logiciels, ces robots-autoroutes ou ses systèmes de sobriété.

À la fin du film on se pose plein de questions sur la conscience, la mémoire, l'identité ou encore le libre arbitre. Mars Express ne révolutionne pas le thème des robots, un thème qui a été traité déjà de nombreuses fois, mais s'avère une réussite dans le sens qu'il est à la fois un plaisir à regarder et génère des réflexions.