Etonnante Palme d'Or cannoise en 1955, Marty de Delbert Mann fait office de remise en question frontale de l'American Way of Life au lendemain de la seconde guerre mondiale, où l'obsession sécuritaire du foyer domestique et ses idéaux conformistes pouvaient conduire au mal-être dépressif le plus redoutable.
Le personnage éponyme d'apparence bourrue interprété par Ernest Borgnine se retrouve sans cesse déchiré entre deux pôles - la pression sociale exercée par sa famille et amis d'une part, son coup de foudre pour Clara (Betsy Blair) d'autre part - femme elle-aussi marginalisée par sa non-concordance avec les standards de beauté en vigueur à l'époque.
Borgnine, pourtant habitué aux rôles de brutes épaisses, livre peut-être ici sa meilleure performance à l'écran. D'une justesse sidérante, il traduit le malaise intérieur de Marty par de subtiles inflexions de voix et transitions de posture corporelle qui le rendent immédiatement attachant. Sa partenaire, d'une pudeur déchirante, n'est pas en reste et ils forment à eux deux l'un des couples tragiques les plus authentiques du Hollywood Classique.
Mais ce qui frappe encore plus dans Marty, c'est la manière dont la caméra va constamment se mettre au service des personnages et des situations avec une sorte d'invisible virtuosité. Privilégiant les plans longs et la profondeur de champ en cadrant simultanément plusieurs caractères, la mise en scène de Delbert Mann permet de cartographier les conflits intimes à l'œuvre entre eux avec une redoutable économie de moyens.
Œuvre d'une admirable maîtrise aussi bien en terme visuel que de direction d'acteur, Marty bénéficie enfin comme atout ultime de la plume de Paddy Chayefsky, scénariste plus connu pour son travail sur le Network de Sidney Lumet. Les velléités contestataires de l'homme font mouche au travers de dialogues équilibrés, souvent sardoniques sans jamais tomber dans un cynisme trop appuyé qui aurait nuit au métrage.
Le happy-end protocolaire (sûrement imposé par la production), qui jure cependant et paradoxalement de manière trop abrupte avec la tonalité générale du film, constitue d'ailleurs le seul petit point noir de cette masterpiece à redécouvrir dans les plus brefs délais.