Le titre de cette critique aurait pu être "fabriquez votre martyr à la maison", mais son objet est trop cher à mon coeur pour que je me lance dans la parodie facile. M'enfin, bref, restons sérieux… Il y aura du divulgâchis (spoil, pour les intimes) dans cette chronique, mais ça ne vous empêchera pas de la lire, petits monstres.
Ce film - qui a bien sûr ses défauts, et je l'admets gracieusement ; on ne met pas un 10/10 objectivement, faut pas rêver… Ce film, donc, a pour moi accompli ce qu'il comptait accomplir : une exploration par les personnages et par le spectateur de la souffrance morale. En effet, l'avalanche de gore et de torture dont nous accable Laugier avec délectation n'est rien, comparée à ce que subissent nos (notre?) héroïnes.
D'ailleurs, quant au gore, je tiens à clarifier un point que j'ai pu voir évoqué dans d'autres critiques : non, Martyrs n'est pas du porn gore ! Pourquoi le fait que le réalisateur soit un homme, et celui que ce soit des femmes que l'on torture devraient-ils immédiatement le classer dans cette catégorie ? L'"utilisation" des femmes comme vecteur de l'idéal du Martyr est justifiée, tout d'abord par notre propre société sexiste (qui aimerait cantonner les femmes à la sensiblerie) et par les caractéristiques biologiques des femmes (qui accordent aux individus de sexe féminin une plus grande sensibilité. Trust me, I'm a biologist). Ouais, ça se rapproche, mais c'est pas la même chose… Fascinant n'est-ce pas ? C'est comme être contre la PMA parce-qu'on est homophobe, ou être contre la PMA parce-qu'on se dit que celleux qui veulent y recourir feraient mieux d'adopter, au lieu de chercher à tout prix à plonger un individu avec leur gène à eux dans notre monde gangrené… Mais je m'égare.
L'unique scène pouvant avoir une implication sexuelle est celle où Anna essaie d'embrasser son amie Lucie, concrétisant alors son envie, ou son besoin, d'aimer ceux qu'elle sauve.
Car Anna, l'héroïne, ne deviendra pas martyr - et non victime ! tmtc - par hasard. Elle est profondément altruiste : ses souffrances passent toujours derrière celles des autres, quelles que soient leur importance. Et c'est dans cet altruisme qu'elle trouvera la force de résister à la folie, en s'abandonnant totalement à la souffrance. C'est grâce à cet altruisme qu'elle a la force d'assumer sa faiblesse. Elle trouvera son échappatoire là où les autres n'osent pas s'aventurer, dans les profondeurs inexplorées de l'âme humaine ; dans ce qui fait que nous ne sommes pas bêtes, mais hommes ; en transcendant l'intrenscendable. Et, qui sait ? C'est peut-être dans ces profondeurs (et non dans un hypothétique "après la mort") qu'elle trouve la révélation qu'elle fait à Mademoiselle à la fin du film…
Je me dois également d'observer comment la construction même du film en différentes phases accompagne la montée en intensité dans la souffrance. Celle-ci est d'abord vécue de l'extérieur : douleur d'Anna de voir les tourments traumatiques de Lucie, désespoir devant les exactions commises par son amie, impuissance devant la folie auto-destructrice de la femme famélique sauvée de la chambre de torture. Chaque pas est ici plus dur que le précédent. Enfin, la souffrance atteindra son paroxysme et finira par s'auto-annihiler en étant vécue à la première personne, avec le procédé de torture qui plane comme une ombre sur Martyrs depuis la première scène, abject non par les coups ni la faim, mais par sa froideur, son refus total de toute humanité au torturé.
Pour finir, je crois qu'il est nécessaire d'affirmer que peu de spectateurs accepteront de s'abandonner avec Anna aux tréfonds de la souffrance : cette dernière peut en effet paraître trop extrême, et donc factice. Mais sans cette démesure brutale et crue, le film perdrait de son impact ; et je tiens également à rappeler à celleux usant de cet argument (pour se détacher du film et se défaire du trouble qu'il suscite?) que des êtres humains subissent de manière largement aussi intense des souffrances physiques et morales dans de nombreux endroits du monde (torture, viols, kidnappings, famines, massacres, guerre). Si vous choisissez de ne pas accompagner Anna jusqu'au bout, ce n'est pas parce-que sa souffrance est improbable : c'est parce-que vous n'êtes pas prêts à l'affronter. Et c'est sûrement un signe de bonne santé mentale.
PS : petit jeu ! Compte le nombre de "souffrance" dans le texte ! Bisous