J'avais complètement zappé la polémique quant à son interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie, alors quand je me suis installé devant une diffusion de Martyrs sur Canal, je ne vous explique pas la monumentale, ou plutôt les monumentales claques ramassées devant cette expérience aussi traumatisante qu'enrichissante...


Qu'on adore ou qu'on déteste, ce que je peux parfaitement comprendre, on ne peut en revanche pas reprocher à Pascal Laugier de n'avoir aucun projet en réalisant ce film, ni de ne pas aller jusqu'au bout de son idée. Parce que malgré ses violences physiques puis psychologiques extrêmes, celui-ci n'a ni plus ni moins que l'objectif de nous bousculer sur LA question existentielle à l'origine de notre humanité, et ce de la manière la plus dérangeante, mais surtout la plus cohérente qui soit. Et franchement, un film de genre qui va aussi loin dans ses enjeux philosophiques mérite au moins le respect quant à cette intention. Attention cependant, Martyrs est un peu l'anti-Braindead (que j'adore également), il s'avère beaucoup moins gore, mais surtout n'espérez pas décrocher le moindre embryon de sourire...


Tout commence un peu étrangement pourtant, avec cette jeune fille mal en point courant au hasard d'une route désertée. On comprendra très vite que Lucie a été maltraitée, malgré son mutisme, et qu'elle semble atteinte d'une schizophrénie suicidaire lui faisant voir "un monstre". Une fillette, Anna, un peu plus jeune qu'elle, la prendra en pitié, et finira par devenir son amie.


Maintenant je spoile, et si t'es pas content va voir le film ! ^^


Marié, deux enfants, du genre propre sur lui, un homme entend sonner à sa porte après avoir parlé avenir avec sa petite famille... Une cartouche de canon scié dans le buffet en guise de bonjour, celui-ci se retrouve éjecté de plusieurs mètres et le massacre peut alors commencer. Lucie n'est pas contente ! Et franchement, Mylène Jampanoï semble totalement habitée par la haine sous sa capuche. Une performance de haute-volée que sa collègue Morjana Alaoui parviendra pourtant à dépasser et à transcender par la suite. Deux partitions dantesques.


Tout le monde y passe, même les enfants, malgré une première petite hésitation de Lucie pour ces derniers... Mais non, l'impératif de vengeance est tel qu'il faut en finir avec tout ce qui tourne autour de ce couple. Et puis, les chiens ne font pas des chats. C'est ce qu'a dû se dire Lucie. Pendant que nous, effarés, comprenons déjà que nous ne sommes pas là pour rigoler. Mais ce n'est qu'un début.
Concernant cette première partie, je déplore tout de même pas mal de surenchère, notamment entre le taux d'hémoglobine beaucoup trop important et la mère qui se remet d'une sacrée bastos pour se faire terminer de manière un peu insensée... Par contre, si les cadrages ne s'avèrent pas toujours très fluides, la caméra n'en demeure pas moins immersive, et les effets spéciaux irréprochables, notamment pour ce fameux monstre qui jouera avec nos nerfs mais surtout ceux de Lucie, pour un dénouement aussi terrible qu'émouvant. Parce que oui, il y a aussi une belle histoire d'amitié entre Lucie et Anna, venue faire le ménage entre-temps. A noter également quelques flash-back plutôt bien distillés contribuant à un montage aussi précis que nerveux.


Un passage secret, Anna ? Un mur des horreurs ? Mais la curiosité est trop grande (suivez mon regard). Des chaînes et, mon dieu, cet "être". J'ai envie de chialer tellement cette vision me choque au plus profond de moi-même. Mais comment un truc pareil est-il possible ? Plus tard dans la baignoire, on se dit d'abord que libérer va tuer. Et on ne croit pas si bien se dire, car libérer sera permettre de se tuer pour se libérer (suivez mon regard). Et bam ! Une équipe armée surgit ! Nouvelle claque ! Mais une équipe qui n'a pas l'air bien sympa... Une équipe du genre à remplir les fosses communes.


Et au film de basculer dans une dernière partie tout bonnement exceptionnelle et unique, tandis que je suis à cet instant précis happé par un état second, la mâchoire ouverte. Même "Mademoiselle" avec son turban et ses lunettes noires fait flipper, mais tout s'éclaire, et c'est l'illumination. Le scénario abat ses cartes et ses quasiment seules tirades : "Les gens n'envisagent plus de souffrir." "Les martyrs sont des êtres exceptionnels capables d'abandon et de transcendance." Un historique terrible, les yeux des martyrs sur l'autre monde ; les femmes sont plus fortes ; et une échelle à coulisses métallique tombe telle une guillotine.


Les bourreaux et leur beau métier n'ont d'abord pas de visage. Pas de langue non plus. Pervers ils laissent un espoir de fuite, un espoir vain. Tortures autant psychiques que physiques, les coups portés se révèlent insoutenables. Un peu trop peut-être. Mais j'en deviens comme incrédule. L'objectif du réalisateur serait-il atteint ? Anna souffre en silence, parler ne lui sert plus à rien. Pourtant, quelques notes éparses de musique, les premières quasiment, me cueillent tel un chrysanthème... L'empathie atteint son paroxysme. Et au syndrome de Stockholm d'habiter la martyr. C'est bientôt fini Anna. Plus qu'une étape. Une seule. Mais la pire. La plus insupportable. La plus hallucinante. La plus extrême. Mais putain ce qu'il est beau ce visage ! Ceux des bourreaux existent "enfin". Les souffrances prennent fin. Le relâchement total. L'extatique au creux de l'oreille.


C'est pour ces quelques mots qu'une sorte de secte a martyrisé, pour enfin connaître le secret de l'après-vie. Pour satisfaire leur insoutenable curiosité, quelques riches vieillards font torturer - les lâches -, font tuer leurs semblables, pire que des rats de laboratoire. Mais ces sacrifices concernent une cause supérieure, concernent la réponse à la question la plus mystérieuse et importante de l'humanité. Cette réponse mérite-t-elle un tel sacrifice ? Je pense évidemment que non, mais peut-être suis-je hypocrite ? Et le plus génial dans tout ça, c'est de finir avec une autre incertitude. Fallait pas rêver non plus, hein... Avec cette autre question : mieux vaut-il ne pas savoir ce qui se passe après la vie, tant la tentation d'y aller serait telle qu'elle mettrait en péril l'humanité ? J'en frissonne encore...


Quoi qu'il en soit, mieux vaut ne pas être soi-même suicidaire avec un tel épilogue, presque dangereux. De plus, le traitement de cette question par le biais d'une telle violence cinématographique me paraît essentiel, car il met directement la souffrance face à la vie et à la mort. D'autant plus que la vie humaine a sa grande part de violence, et de telles tortures (à l'exception de la dernière j'imagine, mais aussi pour des objectifs purement morbides, ce qui n'est pas le cas ici), de telles séquestrations, ont déjà existé. Pas d'hypocrisie donc... Je pense même qu'on pourrait y voir un message vis-à-vis de la question de l'euthanasie. Lorsque la souffrance est telle, ne serait-il pas plus sage que de laisser mourir plutôt que de laisser survivre jusqu'au bout ?


Enfin voilà quoi. Je pourrais en parler pendant des heures. Et surtout n'hésitez pas à le revoir ! Bon, peut-être pas dans la foulée hein, on n'est pas des sauvages non plus ! Mais vraiment, c'est le deuxième visionnage, l'appréhension en plus mais l'épouvante en moins, qui m'a fait prendre pleinement conscience de la cohérence et de la profondeur de Martyrs. Surtout lorsqu'on se souvient de l'épilogue ; mais ça c'est pas dur, le film reste longtemps fiché dans la tête comme un monstre aux basks de Lucie.

RimbaudWarrior
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RimbaudWarrior

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