Qu'il est difficile de poser des mots sur ce film tant Mary Poppins fait appel à l'imaginaire du spectateur, à sa capacité à aborder l'abstrait et à la fantaisie. Souvent rangé à tort dans les films pour enfants, ce film est avant tout une formidable comédie musicale et probablement une des plus réussies de l'histoire du cinéma. On en sort regonflé, sourire vissé au visage et pratiquement capable d'accueillir de mauvaises nouvelles dans la bonne humeur.
Qu'ils sont nombreux les ingrédients qui donnent un tel résultat de joie, de bonheur et d'optimisme communicatif. C'est sans doute aux personnages qu'on pense en premier, le papa banquier aisé mais figé dans des principes d'un autre âge qu'il ne peut s'empêcher d'imposer à sa famille. Son épouse, pétillante suffragette de la première heure mais qui, une fois rentrée dans son foyer, ne peut s'empêcher de redevenir soumise à un mari convaincu que ces histoires de vote des femmes ne sont qu'une mode passagère. Et les enfants, Jane et Michael, deux coquins enfants de la haute société bourgeoise, adorables garnements qui ne peuvent imaginer leur vie sans une nounou à rendre folle.
Les deux plus importants personnages restent sans doute Mary Poppins et Bert, incarnations à l'écran d'une vie rêvée et fantasmée, ils sont les passeports du spectateur vers un monde imaginaire, coloré et où toutes les folies sont possibles. Mary Poppins, magicienne émérite et nounou à ses heures perdues déboule dans la famille comme un boulet de canon et va bouleverser les conventions et principes de Mr Banks. Elle est belle à couper le souffle, habitée par la volonté de ramener la vie là elle semble s'en être allée. Bert est en quelque sorte son assistant, musicien de rue, ramoneur occasionnel ou encore dessinateur,il a le regard d'un doux-dingue dans le meilleur des cas, parfois d'un fou complet.
Ils vont nous emmener, nous et les enfants Banks, dans des délires magnifiques, comme si nous venions de gagner à la fois notre première boîte de magie et notre poids en friandises. On explore des mondes délurés où les chevaux de manège courent sur un hippodrome et où les pingouins vous servent le café. Il sera interdit de trébucher sur supercalifragilisticexpialidocious, mot imaginaire et presque imprononçable devenu le véritable étendard de ce film. Comme dans tout Disney qui se respecte, le film est rythmé par un florilège de chansons qui, une fois n'est pas coutume, sont toutes meilleures les unes que les autres, qu'elles soient d'une gaieté enivrante où mélancoliques. Car oui, il y aussi un côté réfléchi dans ce film, une attaque contre les conventions, contre les injustices sociales, contre le pouvoir exclusif de l'argent.
Le tout réuni donne un pur chef-d'œuvre dont il serait triste de laisser l'exclusivité aux enfants, chacun ayant la possibilité d'y trouver sa fantaisie propre, sa porte d'entrée vers son imaginaire d'enfant qu'il croyait avoir remiser dans un débarras marqué « Perte & Profits ». Mary Poppins n'est pas un film condescendant avec l'enfance, il n'est pas un film « jeuniste ». C'est peut-être une enfance rêvée, mais c'est surtout un film sur cette capacité que nous avions, avec notre regard d'enfant, de transformer les choses par notre simple imagination devenue refuge, et ainsi d'effacer le mal que pouvait contenir notre univers.
Mais il y a tout de même une vérité qu'il faut rétablir, on lit par-ci par-là que ce film a été réalisé par Robert Stevenson et produit pas les studios Disney mais en fait, personne ne sait vraiment. Il paraît cependant que des propriétaires de salles de cinéma sont arrivé à leur travail un beau matin de 1965 et ont découvert, avec stupéfaction, qu'aux frontons se trouvaient des affiches d'un film inconnu intitulé Mary Poppins. La légende veut qu'on a attribué à ce film étrange un faux producteur et un faux réalisateur, pour rassurer les enfants mais en fait. Ce film est magique, crée par magie et il se dit, mais ce ne serait qu'une légende, qu'il serait une illusion née dans notre imaginaire collectif de grands enfants et que Mary Poppins elle-même en serait la créatrice, car oui croyez-m'en, Mary Poppins existe.