Jean-Luc Godard on aime ou on n'aime pas… voilà c'était un avis objectif merci de m'avoir lu… non plus sérieusement c'est un réalisateur qui divise et qui a de nombreux détracteurs, mais qui est aussi considéré comme un cinéaste de génie par d'autres. À titre purement personnel je n'ai clairement pas vu assez de film de lui pour avoir un avis global, mais du peu que j'en ai vu le ressentie est plutôt positif.
En 1966, J-L. Godard réalise donc Masculin Féminin ; aimant faire appel à un casting atypique voire même parfois amateur il s'entoure dans ce film-là pour les rôles principaux de Jean-Pierre Léaud qui s'était fait remarquer quelques années plus tôt pour son premier rôle dans Les 400 coups de François Truffaut et qui était déjà brièvement passé devant la caméra de Godard l'année précédente dans Pierrot le Fou (ah bah tiens cela tombe bien c'est le seul autre film que j'ai vu de Godard comme quoi tout se goupille). C'est surtout le rôle principal féminin qui relève de ce gout de l'atypique dans le casting, puisque c'est à Chantal Goya qui deviendra au cours la décennie suivante, la célèbre chanteuse pour enfants, mais qui n'était à ce moment-là sa carrière n'en était qu'à son balbutiement musical bien que ce soit notamment grâce ses qualités de chanteuse qui lui donneront le rôle. D'ailleurs il y a un petit côté inattendu de savoir qu'avant de chanter Bécassine elle avait donc initié sa carrière au cinéma dans un film interdit au moins de 18 ans lors de sa sortie.
Interdiction à laquelle Godard aurait rétorqué en expliquant que c''était "le public même auquel il était destiné" mais autre temps, autres mœurs (le film ferait sans doute l'objet d'aucune restriction aujourd'hui). Car en effet, de quoi parle le film ? (très bonne question) l'histoire ordinaire des "enfants de Marx et du coca-cola" (pour reprendre une formule du film) autrement dit de la jeunesse de la France tout juste pré mai 68 évoluant entre générations yéyé (Chantal Goya y joue d'ailleurs une chanteuse émergente, Madeleine) et conviction militantisme / syndicaliste (Jean-Pierre Léaud jouant un jeune homme du nom de Paul, sensibilisé à ses idées par le biais de son meilleur ami).
Ces deux jeunes gens vont se rencontrer au détour d'un café, Paul assis devant un café et son livre bredouille de manière hachée des passages de son bouquin sans réel sens quand Madeleine rentre dans le café et s'assoit à une table dans la rangée d'en face de Paul, il engage la conversation avec elle, ils parlent de tout et de rien mais c'est déjà suffisant à Paul pour se dire qu'il l'aime, elle sera plus difficile à convaincre, mais finalement les deux s'aimeront. Le film montrera l'évolution de leurs amours, jusqu'à un final… inattendu…
Mais ce qui est intéressant c'est surtout que par le prisme de ces deux amoureux et leurs proches amis, on a un réel penchant du film vers l'étude sociologique de la jeunesse de l'époque, entre Marx et Coca-Cola, Yéyé et militantisme, conformité des mœurs traditionnelles de l'époque et remise en cause de celles-ci. Cet aspect du film étant aussi mis en avant par le fait que Paul deviendra au cours du récit sondeur pour l'IFOP, donnant l'occasion au spectateur d'assister à certains entretiens, ayant par certains aspects la nature d'interrogatoires. Annonçant finalement sous forme de bilan, en voix off à la fin du film, ce constat :
" […] Je découvris ainsi que toutes les questions que je posais à n'importe quel français traduisaient en faits une idéologie qui ne correspondait pas aux mœurs actuelles, mais à celle d'hier".
Cependant, la relation qui noue Paul et Madeleine, est, elle aussi, très intéressante en elle-même et mise en valeur par la mise en scène particulière, mais pas inintéressante de Godard. Une scène m'a notamment marquée ; les deux sont encore dans une période de flirt, Paul rappelle à Madeleine qu'elle lui avait promis qu'il sortirait ensemble ce soir-là, mais elle fait mine d'avoir oublié, ou d'avoir menti ; s'ensuit une conversation pleine de sous-entendu, de silence… accompagné en arrière-plan par le brouhaha des personnes alentour d'où perce un bout de phrase venant s'insérer entre deux morceaux de la conversation de nos deux protagonistes avec un ton de message subliminal, comme si les réelles pensées de nos protagonistes étaient quelque part exprimées par des paroles hors champs d'interlocuteurs inconnus.
-> Un film donc surtout intéressant pour son aspect sociologique d'une jeunesse partagée entre culture américaine et syndicale, qui peut encore trouver un certain écho aujourd'hui