Vous êtes en 1999. Vous venez d’acheter votre ticket de cinéma et vous vous installez dans votre siège. Les bandes annonces s’enchaînent. La salle sombre soudainement dans la pénombre. Vous découvrez le logo tant caractéristique de la Warner, beau comme jamais dans une version verte, le tout sur un fond musical désormais célèbre. Les caractères verts coulent et défilent à l’écran pour former deux mots : THE MATRIX. Et vous plongez dans la matrice …
Matrix est une œuvre que je considère comme magistrale, exceptionnelle. Elle est porteuse de sens. Elle a su puiser dans de multiples références pour en imposer de nouvelles et se placer comme un film culte.
Commençons par le commencement : l’affiche du film en impose, donne envie sans dévoiler quoi que ce soit de l’intrigue. En version française, on a droit à la légende « Croire à l’incroyable ». Et incroyable, ça peut l’être en effet. Matrix fonctionne grâce à deux éléments essentiels à tout bon film : sa forme et son fond.
D’abord, parlons un peu de la forme. La scène d’ouverture. Elle est intrigante et spectaculaire. On découvre des personnages fascinants, les décors sont très beaux, les plans bien travaillés. L’action débute rapidement, enchaîne par une course poursuite sur les toits (qui ont également servis au film Dark City) et aboutit sur ce plan que je trouve tout simplement incroyable de Trinity en train de sauter par-dessus une rue. On tient là inévitablement une des meilleures scènes d’ouverture de l’histoire du cinéma qui se résume bien par ce moment où un policier stoppe net sa course pour dire, les yeux écarquillés, « That’s impossible ». Il faut tout de même dire que tout le budget initial du film est parti dans cette ouverture, les Wachoski s’en servant pour obtenir davantage d’argent des dirigeants de la Warner pour réaliser le reste. On continuera avec la forme un peu plus tard.
Sur le fond, Matrix développe pour moi trois points essentiels : la perception de la réalité, la critique du système et l’illusion du choix.
En effet, le héros, Thomas A. Anderson, Néo sur le web, a ressenti toute sa vie que le monde ne tournait pas rond, sans savoir pourquoi. Alors quand le mystérieux Morpheus lui propose de découvrir la vérité, il accepte sans hésiter et il touche du doigt l’aspect de la réalité, bien résumé par cette citation :
Qu’est-ce que le réel ? Quelle est ta définition du réel ? Si tu veux parler de ce que tu peux toucher, de ce que tu peux goûter, de ce que tu peux voir et sentir, alors le réel n’est seulement qu’un signal électrique interprété par ton cerveau.
Néo a rêvé toute sa vie, sans réellement s’en rendre compte. Mais comment pourrions-nous nous en rendre compte, lorsque c’est la seule chose que l’on connaît ?
Matrix aborde ensuite la critique du système, à travers celui de la matrice :
La matrice est un système Néo. Et ce système est notre ennemi. Quand on est à l'intérieur, qu'est-ce qu'on voit partout ? Des hommes d'affaires, des enseignants, des avocats, des charpentiers, c'est avec leurs esprits que l'on communique pour essayer de les sauver, mais en attendant, tous ces gens font quand même partie de ce système. Ce qui fait d'eux nos ennemis. Ce qu'il faut que tu comprennes, c'est que pour la plupart ils ne sont pas prêts à se laisser débrancher, bon nombre d'entre eux sont tellement inconscients et désespérément dépendants du système, qu'ils vont jusqu'à se battre pour le protéger.
Difficile de ne pas y voir le parallèle avec notre système. Il y a toujours une partie de gens qui seront du côté avantageant du système, même si ce n’est que très légèrement, et qui feront tout pour y rester, même si cela implique qu’ils doivent défendre un système qu’ils savent mauvais. Car la peur de basculer est trop grande.
Enfin, l’illusion du choix est présente à plusieurs reprises, même si cet aspect est davantage développé dans Matrix Reloaded avec la théorie de la causalité :
- La matrice est le monde qu'on superpose à ton regard pour t'empêcher de voir la vérité.
- Quelle vérité ?
- Le fait que tu es un esclave Néo.
Par exemple, Cypher doit choisir entre vivre dans un monde qu’il déteste ou retourner à sa condition d’esclave pour ressentir le plaisir de manger un bon steak. Même la fameuse pilule rouge n’est pas un choix à mon sens. Comment Néo aurait-il pu la refuser ? Le manque de choix conduit au manque de liberté et c’est bien là le thème principal de Matrix.
Alors pour faire passer toute cette « philosophie », il fallait bien un film qui présente cela de manière attrayante en mélangeant les styles et les scènes d’action. D’où une forme qui est basée sur les arts martiaux et les armes à feu, véritable symbole du moyen dont disposent les protagonistes pour se battre contre ce système.
Les frères Wachoski n’ont pas lésiné sur les effets spéciaux, les ralentis et cette fameuse introduction du « Bullet Time », très impressionnant. Pourtant, Matrix reste à mes yeux simple et authentique, loin des films tournés sur fond vert qui foisonnent de nos jours (même si plusieurs scènes ont eu recours à cette technique). Les acteurs ont en effet subi un entrainement de 6 mois, et ça se voit.
En terme de bande son, la musique et les bruitages sont très bien travaillés, récompensés par deux Oscars (quatre avec meilleur montage et les meilleurs effets visuels). Le tout inclus notamment la chanson « Clubbed To Death », devenue emblématique de Matrix, même si elle n’apparaît qu’une minute dans le film.
Les acteurs sont à mon sens juste comme il faut et chaque scène a du sens et est là bien à sa place. Le monologue de l’agent Smith sur l’Humanité comme un cancer de la planète est très convaincant.
Au final, Matrix est une œuvre singulière, et bien qu’elle fasse partie d’une trilogie, elle peut se considérer comme un film unique, ce qui fait que je la considère aujourd’hui comme un chef d’œuvre de la science-fiction.
Toucher, goûter, sentir ne suffisent plus. Voir pour croire ne suffit plus. Reste à savoir si nous aurons la réponse un jour. En attendant, notre réalité n’est pas si mal.