Il m’a fallu du temps pour aimer Matrix.


1999 était une année généreuses en films Etats-Uniens et si Matrix a effectivement été l’une des pièces importantes de ces séances en salle qui encadraient les épreuves du brevet des collège, cette pièce a moins compté pour moi que Cube, The Faculty, Projet Blair Witch, plus tard dans l’année Fight Club ou Existenz qui claquait moins mais réservait davantage de mystère.

C’est pas une compète mais, 1999 fut l’une de mes plus belles années de cinéma.


Aujourd’hui on doit admettre que Matrix a été davantage opérant que tous les autres films cités ici.


L'existence de Matrix a eu un effet sur le monde réel, ou en tout cas sur l’esthétique du cinéma.


Il y a un avant et un après

Après Matrix, nous nous disons “Matrixés” lorsque nous sommes sous l’emprise de quelque chose ou de quelqu’un qui influence notre façon de penser.


Après Matrix, le récit va pouvoir plus facilement intégrer les outrances du Bigger Than Life.

Les personnages y courent avec classe entre les gouttes de la pluie et les ondes des balles.

Dans l’iconique plan en contreplongée sur l’hélico, il pleut littéralement des douilles dans la gueule du spectateur quand il ne pleut pas des lignes de codes à l’écran.


PLUIE

Ce n’est pas aussi simple : Hong Kong creusait cette esthétique depuis 10 ans, McTiernan avait en partie ouvert la voie US du film d’action Meta avec Last Action Hero et Dark City avait permis de remettre du budget dans la Dark SF.

Mais c’est Matrix qui a marqué le jalon.


L’esthétique des personnages a évolué.

Après Matrix, les X-Men se sont retrouvés avec des combis en latex foncé.

Le super-héros devient un sujet plus mature et Spiderman de Sam RAimi représente plus une exception que la règle pour le début des années 2000 en matière d’esthétique d’univers et de personnages.


L’heure est apparemment à la maturité, et avec Matrix, la maturité c’est de la pluie, un filtre vert et des ralentis.


Effets techniques novateurs

Après Matrix, les héros posent.


Le ralenti existait bien sûr avant Matrix. Pour magnifier une explosion par exemple ou de manière plus auteuriste par Peckinpah ou Kubrick (Orange Mécanique).

Mais depuis Matrix et sa technique de "bullet time", le ralenti n’est plus là tant pour dramatiser que pour figer une pose.


Cette technique fait forcément penser à la pause dans le jeu vidéo ou la vignette figée du comics.


C’est pour celà qu’au-delà de la reprise ad nauseam de la technique ou de son esthétique du ralenti radical dans 1000 films mineurs ("Charlie's Angels" (2000), Scary Movie, “Kill Bill”...) ou un peu au-dessus (“Melancholia”) ; celle-ci a permis à des réals de s’emparer plus facilement avec le cinéma de l'esthétique du jeux vidéo ("Scott Pilgrim vs. The World", “Sucker Punch”) ou le roman graphique (“Watchmen”, “300”).


Bref Matrix est un film important que je le veuille ou non.


Et s' il m’a mis mal à l’aise en ce début d’été 1999, c’est parce qu' au milieu des claques visuelles et du récit un peu plus complexe que les autres sorties Blockbuster du printemps du cinéma il y avait quelque chose de pourri.


Néo-Nazi

Ca se passe en 3 temps


1- Latex

C’est total subjectif mais à 14 ans, pour moi, des perso vétus de noir, en latex et avec une attitude martial ça évoquait soit :

  • La nazisploitation que je ne connaissais que par les vignettes dans L’Ecran Fantastique ou Mad Movies
  • soit le SM dont je ne connaissais peu ou prou que Z de Pulp Fiction. Bref pas un truc qui me semblait positif, et en tout cas certainement pas neutre.
  • (En vrai y avait aussi le Gérard Jugnot de “Papi fait de la Résistance” qui venait concurrencer Keanu Reeves dans mon esprit)

2- La Dame en rouge

Après ⅓ du film, une fois sorti de la Matrice, Neo subit une série d'entraînements.

La 2ème épreuve consiste à se promener dans une rue bondée de personnes anonymes en costumes. Là Néo est distrait par une femme en décolleté rouge aux faux airs de Marylin.

Cette distraction le met en échec car il ne voit pas l’agent qui le met en joue à ce moment. Il a raté l’épreuve.


Cette séquence est un piège que je trouvais assez sale.


Elle est elle-même une distraction (en vrai qui en a eu quelque chose à battre de la gonzesse ?).

Ce que la séquence raconte ce n’est pas que Néo doit rester concentré. Ni l’histoire ni le personnage n’avait besoin de ça et d’ailleurs cette séquence n’aura aucune conséquence (à aucun moment Néo ne doit faire un effort de concentration).


Alors pourquoi est-elle là cette scène ?


Parce qu’il y a un dialogue, et voici la ligne de Morpheus :

La Matrice est un système, Neo, et ce système est notre ennemi. Quand on est à l'intérieur, qu'est ce qu'on voit partout ? Des hommes d'affaires, des enseignants, des avocats, des charpentiers. C'est avec leurs esprits qu'on communique pour essayer de les sauver mais en attendant, tous ces gens font partie de ce système, ce qui fait d'eux nos ennemis. Ce qu'il faut que tu comprennes, c'est pour que la plupart ils ne sont pas prêts à se laisser débrancher. Bon nombre d'entre eux sont tellement inconscients et désespérément dépendants du système qu'ils vont jusqu'à se battre pour le protéger. Est ce que tu m'écoute Neo, ou est-ce que tu regarde cette femme en robe rouge ?

Bref littéralement :

Tu vois ce type, il a l’air comme toi et moi mais il pense pas comme nous. Il n’est pas conscient d’être notre ennemi mais parce par sa passivité il nous empêche de changer le système, alors il devient un obstacle à éliminer.

Ce ne sont plus des gens mais des problèmes.


Vous le voyez le problème du facisme là ?


Quand la Matrice cultive ses clones, la Team Morpheus les moissonne.


3- La réalisation de l’extermination

Matrix est un film qui met les moyens techniques et financiers pour faire naître le surhomme à l’écran.


Matrix c’est une façon pour les réalisatrices d’actualiser la puissance de vie qui les a chargé des années via les comics, l’animation jap, le cinéma HK…


L’Ubermensch, c’est l’accomplissement concret / incarné de la volonté humaine de puissance.

C’est ça la jouissance de Matrix : la réalisation (aussi bien au sens d’actualisation que de mise en scène) de la dépense physique de ses héros et son impact sur le décor.


Tout ça explose dans la longue séquence présentant la libération de Morpheus.

Les esclaves non conscients y sont exterminés sous les balles de nos surhommes qui, par leur seule volonté, ont accompli le dépassement des simples humains pour réinvestir par le transhumanisme la position du Surhomme.


Ce massacre est déroulé sans aucun état d'âme et manifestement sans aucune conscience par l’équipe qui produit le film de ce qui est fait.


Pourtant il est dit clairement dans le film que

  • Ces personnes lorsqu’elles souffrent ou meurent dans la Matrice, leur corps souffre et meurt dans le monde réel : le décès sera réel
  • Ces personnes entretiennent dans la Matrice des relations fortes avec d’autres personnes tout aussi réelles : le deuil sera réel.
  • Seuls les agents sont des programmes qui interviennent pour réguler le comportement des humains plongés dans la Matrice

Et toute la séquence est magnifique.


De l’entrée dans le hall à l’explosion de l'hélico sur une façade d’immeuble.


En bref, Le film "Matrix" peut susciter des doutes lorsqu'on examine ses présupposés idéologiques et son message. La stylisation de ses héros, avec leurs manteaux en cuir rappelant ceux des membres de la Gestapo, ainsi que leur formation axée sur la violence physique qui semble davantage viser à détruire l'autre plutôt qu'à maîtriser soi-même, confère au groupe de "résistants" une allure sectaire qui peut donner des frissons.


De plus, leur action et leur programme reposent sur une théorie du complot et de la conspiration, ce qui suscite rarement de la bienveillance et de l’inclusion.


Alors oui j’entends déjà les


T’as rien compris, c’est justement un film qui dénonce le fascisme !

Trop teubé le gars il a pas vu que c’est un film qui appelle à la révolte et pas au conformisme

Il faut peut être différencier les auteurs.trices de leurs œuvres.

Le film ne dit pas forcément ce que leurs réalisatrices voulaient lui faire dire.


Matrix est juvénile et jouissif. Par sa recherche d’énergie et sa maturité acnéique, il en oublie peut-être de creuser justement les liens intimes entre Totalitarisme et pureté militante.


Matrix montre l’inverse de ce qu’il prétend ou aimerait dire.


La justification du meurtre de masse pour sauver l’humain authentique, c’est pas un programme douteux ?


C’est pas un hasard si l'esthétique Matrix a servi aux complotistes contemporains et que le terme “red pilled” est aujourd’hui surtout un red flag pour repérer un activiste d’extrême droite.


Ménage

Au-delà des éléments matériels avancés plus haut, je pense que l'œuvre des Wachowski parle pour elles : Les réalisatrices sont conscientes d’avoir en partie missed shot et passeront une partie du reste de leur carrière à récupérer le coup.


L’authenticité de leur engagement pour l’ouverture d’esprit et à la plasticité de ce que peut et a le droit d’être un être humain ou un groupe aura été, pour moi, une surprise crescendo sur toutes les années qui suivirent.


Pour ce qui le plus directement parlant :


  • Cloud Atlas leur permettra de montrer le massacre en masse des clones comme un climax d’horreur.
  • Globalement le soin apporté aux figurants dans les films qui vont suivre, comme s’il fallait racheter la maltraitance cynique de Matrix.
  • Dans Matrix Ressurections ce sont des bots qui servent de chair à canons des héros. D’authentiques PNJ et non plus des esclaves dont le tort serait de n’avoir pas vu leurs chaînes.

Le contre-feu était déjà dans l'œuf.


Les réalisatrices ont ancré dans l’inconscient du premier film l’idée de poupées gigognes qui permet, une fois lancée l’idée de “je suis dans dans un rêve”, la possibilité de tomber dans la mise en abîme des rêves dans le rêve.


Au début du film, lorsque Thomas Anderson est convoqué par son patron, le son est pollué par les bruits de raclettes des laveurs de carreaux à l’extérieur.


Ce son parasite vient perturber Anderson (pas son patron), comme pour lui rappeler que le monde qui l’entoure est trop. Trop en quantité ou trop en signifiance.


Comme si au travers du rideau de l’hallucination produite par la Matrice, l’humain percevait le bruit des machines qui entretiennent la survie de son corps dans le monde réel.

Ou d’un point de vue plus mystique, au-delà du voile de la réalité, par la non-évidence du réel, l’humain percevait la présence de Dieu.


Mais ce son parasite c’est aussi une gênance pour le spectateur.


C’est ce qui nous sort du film au moment ou un gros plan nous montre une raclette retirer la mousse de la fenêtre qui nous empêchait de voir la scène, masquée par un ruissellement de gouttes savonneuses qu’on peut associer aux lignes de codes vertes qui dégoulinent l’écran de la Matrice.


Littéralement on nous montre dans le même geste une libération du regard et en même temps un cassage de 4ème mur.

L'ambiguïté du geste rend difficile d ‘en interpréter une signification ferme.


(A noter que cette séquence, tout comme l’attention portée au chat “Déjà Vu” montre sous cet angle strictement l’inverse de la séquence de la dame en rouge : ici le son qui distrait est justement celui, salutaire, qui appelle à regarder ailleurs pour s’extraire du rêve qu’on nous impose. Ici le salariat)


Matrix est-il un rêve ?


Les laveurs de vitres sont assez inquiétants filmés en lousedé à contre-jour. L’utopie de Sion et la croisade de Néo, n’est-il pas aussi un rêve dangereux ?


Le problème finalement n’est peut être pas le rêve en lui-même mais d’être dans le rêve d’un autre. Le rêve des Wachowski pas plus légitime que celui de la Matrice ou de l’Oracle.


Le seul rêve légitime c'est le mien.

Ou du moins celui auquel je consens.


Les nettoyeurs de vitres, ce sont les sœurs Wachowski.


Elles en incarnent les personnages tout autant que ces rôles permettent aux réalisatrices de s’intégrer dans le film.


Comme les agents de la Matrice viennent s’approprier le corps de n’importe quel figurant peuplant le film.


Conclusion

Matrix est un plaisir encore aujourd’hui. Il ne vieillit pas vraiment et aura ouvert la voie à une œuvre très intéressante des Wachowski tout comme un indiscutable renouveau dans l’esthétique et l'hybridation des medias.


Mais Matrix c’est peut être aussi à la fois un film raté et un plaisir coupable.


Est-ce un problème ?


S’il n’avait pas ces défauts, il est probable que le film n'aurait pas eu cet impact sur la culture occidentale et n'aurait pas apporté sa pierre au mur de l’Histoire du Cinéma.


Matrix ne disait finalement que ce que le cinéma de la fin de siècle avait besoin de projeter.

Dlra_Haou
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le 5 juin 2023

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Martin ROMERIO

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