La nature, les surimpressions et la perfidie féminine...
Bernard Mauprat est le neveu de Tristan Mauprat, un bandit de grand-chemin qui opère depuis une vieille tour perdu du Berry, la Roche Mauprat. Un jour, ses acolytes prennent en otage sa cousine, Edmé. Amoureux fou, Bernard la délivre et lui fait jurer qu'elle ne sera à nul autre que lui. Le père d'Edmé, à la tête de l'autre branche Mauprat, composée de gentilhommes, le prend sous son aile, et Bernard, bien malgré lui, travaille son maintien. Edmé, qui au départ ne l'aime pas, développe des sentiments pour lui. Il part servir le roi pour obtenir une position. Il revient et des noces se profilent, mais au cours d'une partie de chasse, Tristan Mauprat, que tout le monde recherche, tire sur la jeune femme. Tout le monde soupçonne le pauvre Bernard, y compris son rival, le marquis de la Marche. Mais grâce à l'enquête du fidèle Marcasse, on retrouve trace de Tristan Mauprat et de son acolyte, un de ses hommes de main déguisé en moine, surpris à voler des bijoux. Edmé se rétablit, disculpe Bernard, ils se marient et Tristan Mauprat disparaît mystérieusement.
Ce film, qui se passe dans un décor XVIIIe romantique (puits, grands arbres, roseraies, allées cavalières et tutti quanti), présente de fort beaux extérieurs. Le vent dans les arbres fait souvent écho à des scènes émotionnelles, tandis que le calme des jardins est une image du bonheur. Les animaux ont même parfois droit à leur propre insert (le chien regardant son maître partir à la guerre).
Mais Epstein a surtout travaillé les fondus et l'utilisation de la surimpression ou "image fantôme". Les fondus ne sont pas toujours des ouvertures à l'iris, mais Epstein utilise parfois une sorte d'effet de store vertical étonnant, souvent pour redoubler certains motifs. Quant aux surimpressions, elles concernent plusieurs rêves ou hallucinations : cauchemar de Bernard avec les figures ricanantes de son oncle, mais il y a surtout cette séquence incroyable où alors que Marcasse lui parle en prison, Bernard voit démultipliée autour de lui l'image de son aimée agitant son éventail en souriant. Vu le procédé de fabrication (on tourne une scène, on rembobine, on tourne une deuxième scène par-dessus, on a là un véritable tour de force. On sent aussi des recherches dans le montage lors de la scène où Bernard, dégoûté de la perruque qu'on veut lui faire porter, reprend ses frusques et part sur les grands-chemins : petit passage en caméra subjective (effet que l'on trouvait aussi dans "La chute de la maison Usher"), puis Epstein enchaîne des gros plans sur la nature que voit Bernard et sur ses grands gestes farouches et heureux. Belle image de liberté exultante.
Malgré son noir et blanc très travaillé (qui me rappelle un peu le Vampyr de Dreyer), "Mauprat" n'est pas un chef d'oeuvre absolu. L'enchaînement des cartons, par exemple, a quelque chose de maladroit, et l'exposition au début laisse un peu perplexe. Et le jeu d'acteur est assez inégal : l'acteur qui joue Marcasse, par exemple, vole quasiment la scène au jeune premier dans chaque séquence où ils apparaissent tous les deux.
Bon, n'ayant pas lu l'oeuvre originale, je ne peux juger de la qualité de l'adaptation, mais je suis un peu chiffonné par le personnage féminin, beauté idéale qui au fond manipule tout le monde. Et l'intrigue fait asse mélo.
"Mauprat" est peut-être moins épique que Robert Macaire, mais Epstein y introduit de vraies expérimentations.
Vu à la cinémathèque, accompagné au piano par Neil Brand, un Anglais spécialiste de l'accompagnement au piano des films muet.