La version lumineuse de BANDE DE FILLES. Superbe !
La première projection parisienne a lieu au Festival International du Film d’Environnement : mon incontournable pour la 7ème année consécutive. Et cette fois encore, la programmation est qualitative. « Max & Lenny » fait partie des pépites. Des belles surprises. Je regrette presque de ne pas être allée féliciter le réalisateur Fred Nicolas, présent ce jour-là, pour tous les frissons qu’il m’a donné avec son film. C’est dire.
J’y suis allée avec le regard sans doute un peu blasé, me disant qu’il s’agissait d’un énième film sur les minorités, mélange de toutes les dernières fictions que j’ai pu voir, comme « Bébé Tigre » (Cyprien Vial) et « Mon Amie Victoria » (Jean Paul Civeyrac), sur fond de « Bande de filles » (Céline Sciamma). C’est effectivement le cas. Sauf que pour moi, l’histoire de « Max & Lenny » est la version ultra lumineuse de « Bande de filles », en plus réussie. Un coup de cœur !
Lenny a 18 ans, elle vit avec son frère dans la banlieue nord de Marseille, prisonnière d’un milieu de lascars. Elle est sauvée par sa passion du rap et de l’écriture, et l’espoir de retrouver sa petite fille de 2 ans, placée en foyer. Une nuit elle rencontre Max. Une jeune congolaise sans papiers, aussi mature que Lenny est immature. Les deux filles s’adoptent aussitôt.
Voir derrière les apparences
Max, Lenny. Je n’avais en tête que les 2 lignes du pitch, sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Je m’attendais à un film plongé dans un univers glauque, triste, avec la volonté de tout irradier. Ou pas. Mais je ne m’attendais pas à la si belle surprise qui m’attendait … Parce que « Max & Lenny » ne parle pas de la banlieue. Ce n’est qu’un décor, implicite, si peu montré.
Fred Nicolas donne à ses personnages une identité masculine. Il y a leurs prénoms, trompeurs, d’abord. Lenny porte toujours les mêmes sweat/baskets, cache sa féminité derrière des survêtements informes, adopte une démarche de bonhomme. Elle est belle mais elle ne le sait pas. Elle est à l’affût, comme un animal sauvage, prête à bondir, morne dans sa drôle de jungle urbaine. Caméléon, peut-être, elle préfère alors se fondre en homme parmi les hommes.
Le film s’ouvre en caméra portée, suivant Lenny dans sa course folle pour échapper aux deux dealers à qui elle vient de voler de la marchandise. Le spectateur l’attrape au vol, embarqué contre son gré; pourtant immédiatement happé par la sincérité qu’elle inspire; une lionne solitaire, indépendante et sans attache.
"La musique, c’est la vie" . Sa came à elle c’est le rap. Elle écrit dans un journal intime tous ses maux qu’elle met en chanson. Un jardin secret qu’elle cultive précieusement, qu’elle partage difficilement. Sous son crayon des vers de poète, qu’elle cache, incertaine, insatisfaite. Timide, en fait. Car dans son monde à elle les femmes n’existent pas.
Sa vie est un immense système D, c’est un abri fragile, fait de bric et de broc. Elle n’y a aucun repère, aucune figure parentale pour la guider, même pas sa fille pour la faire grandir, lui donner des responsabilités. Ainsi elle vit désabusée, avec la certitude que la vie ne lui fait pas de cadeau, et que les choses ne changeront jamais. C’est ici que Fred Nicolas se démarque. Il ne choisit pas la fatalité, mais la luminosité. Ses personnages ont des ambitions, de la rage, du courage. Il puise dans le détestable le meilleur; mieux, il capte l’essence même de l’espoir qui renaît. Et c’est magique !
Un film sur les femmes
Le réalisateur, marseillais lui-même, explique qu’il avait la volonté de montrer une autre image de sa ville. Dire que, dans la difficulté, il est possible de s’en sortir. C’est ainsi qu’il décide de donner la parole aux femmes, transparentes dans ce milieu d’hommes. Surtout, il ne dévalorise jamais ses personnages; il donne à Lenny du talent, et à Max de l’ambition. Bref, il rétablit la vérité.
Leur rencontre est une émancipation nécessaire; envers les hommes de la cité, envers les responsabilités familiales. Soumises, insidieusement, à la vision monochrome qu’on leur impose. Grâce à Max, Lenny va se révéler à elle-même. Elle découvre l’amour, l’amitié, la plénitude. Ensemble il n’y a que douceur, légèreté – qui contrebalancent avec la dureté de la banlieue. Max est déjà une femme, elle fait ce que Lenny ne sait pas faire : élever des enfants. Parce que ses parents sont au Congo, Max a dû grandir vite, pour se substituer à sa mère et s’occuper de ses frères et sœurs. Pour Lenny, c’est la figure maternelle rassurante dont elle manque. Une épaule. Un personnage solaire, qui fait rayonner sa combativité positive sur Lenny. Elle lui apprend à aimer la vie, à ne pas choisir les mauvais combats.
Hélas le destin est parfois fourbe, et Fred Nicolas aura beau apporter toute son énergie, la réalité est ce qu’elle est. En nuances.
Malgré tout, le film de Fred Nicolas est un souffle pour ces jeunes, qui leur donne des perspectives, respecte leurs codes, sans jugement. Il témoigne de cette possibilité d’aller de l’avant, d’avancer. Les rêves peuvent devenir réalité. Définitivement, « Max & Lenny » est un film anti-fataliste, un coup de poing sur les clichés. De la fragilité dans la violence, de la force dans les mots. Superbe !
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