Outre l’aspect historique, sur lequel le réalisateur ne pose, naturellement, pas un regard complètement objectif, « Une histoire de fou » se veut avant tout un formidable exemple de résilience. Guédiguian formule ici le vœux pieux d’une improbable réconciliation, à travers le portrait complaisant d’un jeune français (Gilles) et d’une mère arménienne, qui parviennent à communiquer malgré la tragédie qui devraient les opposer.
Voilà ce qui est fou, finalement, dans ce que nous raconte le cinéaste. Car ce n’est pas tant cette paradoxale lutte armée en faveur de la justice qui est soulignée, mais plutôt cet effort a priori insurmontable qui mène Gilles vers une forme d’humanité noble – pratiquement héroïque. Le film se range alors du côté de la bonté, du pardon, de l’intelligence … Et tente nécessairement une ouverture sur le poids du passé, oppressant, et la responsabilité que s’attribuent encore les générations suivantes. Au cœur même du conflit, Robert Guédiguian s’efforce cependant de rester en retrait. Il adopte alors deux points de vue : celui des révoltés – écrasés par l’indifférence diplomatique -, et en contrechamp celui, plus neutre, d’une victime collatérale – désinformée sur le conflit.
Bien sûr, je repense au touchant "Je veux voir" de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, vu en 2008 à Cannes, où Catherine Deneuve découvre l’autre réalité du Liban dans un road movie façon docu-fiction épatant. Chez Robert Guédiguian, Ariane Ascaride se fait guide dans les dédales de Beyrouth pour Gilles, dans cette même démarche de curiosité « positive » vers la prise de conscience.
La figure maternelle est essentielle dans le film : c’est elle qui rassure, elle qui demande pardon, elle qui fait preuve de courage, elle qui agit. J’ai le sentiment qu’ « Une histoire de fou » serait quelque part plus une histoire de « folle ». Est-ce volontaire, je l’ignore. Mais je remarque que les femmes, particulièrement trois (la mère, l’activiste et la fiancée de Gilles) sont caractérisées par une énergie incroyable, tandis que les hommes se retranchent derrière les apparences. A travers elles, le combat (pour retrouver son fils ou sur le terrain …) préserve une part de sensibilité, et ne s’apparente pas tout à fait à quelque chose d’uniquement bestial, comme cela aurait pu être le cas; péchant à l’inverse par excès de générosité.
Globalement, le film est très intéressant et son parti-pris réveille une évidente curiosité de la part du spectateur. Quelle tournure la rencontre entre Aram et sa victime va-t-elle prendre ? Le pathos est de manière générale exagéré, surdosé jusqu’à devenir lourd. Heureusement que Guédiguian s’astreint à rester dans le réel, pour ne pas tout à fait tomber dans le fantasme. Alors le fracas vient parfois bousculer la simplicité des mots, comme la violence peut assaillir trop de délicatesse. De cette histoire de fou, il ne manque plus que la parole aux turcs, ce qui, finalement, nous épargne qu’un film politique ne supplante une visée plus « utopique ».