Si l'on voulait résumer le film d'une phrase, on pourrait dire que Guédiguian réalise ici son Munich à lui, dénonçant une vengeance certes légitime mais qui aboutit à une spirale de violence aveugle qui détruit tout, y compris les justiciers eux mêmes en les faisant devenir des bourreaux. A la différence de Spielberg, le Français contrebalance la noirceur de son constat par son humanisme un brin utopique bien connu.


Guédiguian se penche ici sur ce qu'il connait, la communauté arménienne et le traumatisme de son génocide et de sa non-reconnaissance par la Turquie. Le film débute par l'assassinat de Taalat Pacha en mars 1921 et le procès qui s'ensuivit de son meurtrier Soghomon Tehlirian - acte fondateur de l'esprit de vengeance des Arméniens sur la Turquie. Verneuil, dans son film Mayrig, avait en son temps pratiquer un détour identique. Début pour le moins didactique qui se termine par cette mise en garde : "gare si les arméniens commencent à prendre plaisir à être des meurtriers".


Nous sommes maintenant 60 ans plus tard et devant l'absence de reconnaissance du génocide et de l'absence d'intérêt pour l'Arménie de la communauté internationale, la jeunesse gronde et certains vont choisir la voie du terrorisme. Le film suivra donc Aram, le jeune révolté parti combattre l'ennemi turc et Gilles, première victime d'un attentat perpétré par Aram, symbole vivant de la violence aveugle. Le premier va petit à petit comprendre que les attentats ne conduiront à rien et dénaturent la légitimité du combat, le second veut comprendre ("ce qui me fait tenir, ce n'est pas la vengeance mais la volonté de comprendre") et rencontrer celui qui lui a fait ça. Entre les deux, tissant un lien entre les deux, la famille d'Aram, famille aimante, non-violente, notamment la mère (Ariane Ascaride, toujours bien).


La scène de rencontre entre Aram et Gilles aura bel et bien lieu, moment de possible réconciliation, moment d'utopie comme les affectionne Guédiguian où le discours prend le pas sur le réalisme, l'humanisme sur la subtilité. A l'instar de Egoyan sur Ararat, le Français pointe là le danger pour sa communauté de ne construire son identité que sur le génocide, sur 1.500 000 morts, une impasse d'autant plus criante que Guédiguian montre par ailleurs la richesse d'une culture qui n'a pas besoin de cela pour exister. L'idée est belle, tout comme certaines images qui voient le père (Simon Abkarian) danser pour évacuer son chagrin ou la mère allait enterrer les cendres de sa mère sur les terres de ses ancêtres, mais le film est trop maladroitement didactique, trop simpliste dans son traitement pour vraiment interpeller et séduire.

denizor
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le 13 févr. 2019

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