Samaria ou Poetry, le cinéma sud-coréen est hanté par les suicidées adolescentes. Nouvelle pierre à cet édifice mortifère, voici After my death, premier film de Kim Ui-Seok. Glaçant.
Kyung-min, une lycéenne disparaît mystérieusement, la thèse du suicide est rapidement privilégiée. Tout le début d’After my death pourrait s’apparenter à un thriller : un cadavre à retrouver, une enquête à mener, des secrets (entre Kyong-Min et deux de ses camarades,Young-Hee et Han-sol) à découvrir ; nous sommes en terrain connu, le genre de thriller d’atmosphère dont le cinéma sud-coréen est friand. Fausse piste, le film est ailleurs ; la vérité est ici un concept insaisissable.
Plus qu’un corps à retrouver, plus que l’absence de cadavre ou la recherche de la cause du suicide, ce sont les conséquences du drame qui intéressent le cinéaste qui, en observateur minutieux et précis, jette un pavé dans la mare et en étudie ensuite les effets, sans concession, avec une froideur glaçante. Avec cette disparition, c’est toute une institution rigide (ce lycée, figure métonymique de la Corée du sud dans son ensemble) qui commence à vaciller, ce sont tous les protagonistes du film qui plongent dans le trouble : la mère de la disparue, Young-Hee, vite isolée, et le reste de ses camarades, le professeur principal et toute sa hiérarchie, la police également. Il y a là une tentation de film choral auquel ne succombe pas Kim Ui-Seok. Mais sa précision des détails est chirurgicale et derrière la face mutique de Young-Hee (Jeon yeo-bin, très bien), la mise en scène particulièrement maitrisée (quoique un peu stéréotypée), l’unité des couleurs froides de bon ton, c’est bien la violence sourde qui pointe.
After my death est à la fois une exploration de la psyché des adolescentes (qui plus est, dans un lycée exclusivement encadré et dirigé par des hommes) et l’autopsie d’une société hiérarchisée, ritualisée, qui nie l’individu au profit du groupe et qui peut même le broyer. Young-hee, amie de Kyung-min, va vite devenir le bouc émissaire de ses camarades ; derrière le « kawai » et le matérialisme le plus vide, la violence sourde menace toujours de poindre et n’attend qu’un prétexte pour éclater. Le plus grand délit de Young-hee : ne pas être comme les autres jeunes filles, ne pas être frivole, ne pas écouter de K.Pop, d’avoir des pensées noires, mais surtout d’être la preuve vivante qu’un drame s’est commis ; crime impardonnable dans un univers aseptisé qui rêve d’amnésie.
C’est le constat implacable du film : par ses principes de compétition et de clonages d’individus tous soumises à l’autorité, cette société créée des jeunes filles qui veulent mourir ; tout en les rejetant ensuite sans ménagement. A ce titre, After my death possède son moment de bravoure, une scène de cérémonie funéraire hallucinée et hallucinante où le rituel se transforme en superstitions expiatoires qui conduit au nihilisme le plus extrême. Kim Ui-Seok fixe l’incommunicabilité – terme souvent galvaudé mais qui prend tout son sens ici avec une Young-hee réduite au silence et s’exprimant par signes devant la classe qui ne la comprend pas mais qui désormais la vénère ; ambiguïté extrême d’une société en quête de repère. Young-hee n’a pas 16 ans et elle n’est déjà plus qu’un fantôme…
A lire ici :
https://www.benzinemag.net/2018/11/19/after-my-death-psyche-adolescente-et-autopsie-dune-societe/