Métamorphose narcissique
J'aime beaucoup le cinéma de Todd Haynes, lorsqu'il s'attache à porter sa caméra au delà du mur des apparences pour disséquer un certain "American way of life", et traquer les malaises et...
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le 26 janv. 2024
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Todd Haynes nous offre May December, une expérience cinématographique dérangeante, une
véritable boule au ventre qui nous entraîne au cœur de l’âme humaine, explorant les recoins
sombres de la psyché des personnages.
A l’image de Blue Velvet ou de films Sirkiens, Haynes explore le contraste entre une banlieue
vibrante aux pelouses luxuriantes et une morale malaisante cachée derrière le vernis de la société américaine. La tension est ahurissante.
May-Décember est une expression qui désigne en anglais une relation où les deux partenaires
ont une grande différence d'âge. Ainsi, cette histoire s’inspire de l’affaire Mary Kay Letourneau,
qui est une professeure de mathématiques américaine, emprisonnée de 1997 à 2004 pour avoir eu des relations sexuelles avec Vili Fualaau, son élève alors âgé de 12 ans. Cette histoire fit scandale aux états Unis.
On suit une comédienne, Elizabeth (Natalie Portman) qui doit incarner une femme qui, lors de sa trentaine, a eu des relations sexuelles avec un camarade de classe de son fils, ayant seulement 14 ans. La prédatrice a fait plusieurs années de prison, mais a néanmoins continué sa liaison avec son trop jeune amant, s'est marié, est toujours marié avec lui, et a eu trois enfants. Ici, la comédienne va à la rencontre de son "futur rôle", en suivant notre ancienne condamnée et en apprenant à la connaître à travers son regard et celui des autres.
May December nous confronte à des personnages rongés par leur passé, laissant des cicatrices
indélébiles sur leurs manières d’interagir avec leur entourage. Todd Haynes fait preuve d’une
admirable justesse en ce qui concerne la vraisemblance : la recherche de la vérité, faisant
transpirer les sentiments d’enfermement et d’ennui à travers l’écran, résonne avec notre réalité, ce qui met mal à l’aise.
Julianne Moore (Gracie Atherton) livre une performance d’une femme quasi « borderline » qui
nous fait vaciller entre la pitié et la peur face à cette femme d’une intensité glaçante. Les
multiples jeux de miroirs entre Elizabeth et Gracie soulignent subtilement une fusion entre les
deux, plus la comédienne s’approprie le personnage de la femme. Le nom Gracie évoque en mon sens une innocence enfantine, qui ici mêlée à la complexité d’une femme dérangée, fait remonter chez le spectateur un certain malaise.
Bien heureusement l’on ne se focalise pas que sur les deux femmes et laisse place au personnage Joe Yoo (Charles Melton) dans son rôle complexe et touchant, incarnant un personnage qui tombe en crise, partagé entre ses préoccupations altruistes et ses propres démons intérieurs. Un homme sensible qui prend soin de ses papillons délicats (figurant son évolution et ensuite son émancipation de l’emprise de Gracie), ses enfants et des tourments de sa femme, sans penser à son bien-être.
On ne peut pas parler de ce film sans mentionner le thème musical récurrent, hantant, emprunté au film Le Messager de Joseph Losey composé par Michel Legrand. Les notes marquées du piano suffisent pour nous clouer à notre siège.
Si l’on peut reprocher quelque chose à ce film est qu’il joue peut-être un peu trop avec l’espace
gris ou se trouve Elizabeth, ne montrant aucun avis personnel face à Gracie. Certes on le
comprend lorsqu’elle parle à Joe et à d’autres personnes qu’elle interview. C’est dans cette
ambiguité qu’on a l’impression que Natalie Portman se perd un peu et nous livre une prestation
quelque peu fade. Pourtant, on retrouve quand même de sa puissance de jeu dans le monologue de fin, en tant que Gracie.
Todd Haynes nous offre néanmoins une oeuvre cinématographique captivante où chaque élément contribue à la construction d'une atmosphère oppressante, mettant en lumière la complexité de la morale humaine. May December est une expérience sensorielle et émotionnelle qui vous hante bien après le générique de fin.
Créée
le 5 févr. 2024
Critique lue 11 fois
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