Avec un Vincent Macaigne habité et doté d’une fiévreuse atmosphère de film noir aux confins d’un Paris périphérique, Médecin de nuit d’Elie Wajeman frappe fort. Un immanquable.
Un peu comme le dernier film de Frédéric Farrucci, La Nuit Venue, Médecin de nuit est un polar urbain et nocturne qui se déroule dans le Paris interlope des désœuvrés ou des âmes en peine, qui cherchent le réconfort là où il est difficilement trouvable. Mikael, médecin de nuit donc, faisant souvent des consultations dans sa voiture, s’occupe des patients « indésirables » et dans le même temps, organise avec son cousin, pharmacien, une fraude aux ordonnances de subutex. On ne sait pas vraiment si c’est pour aider son cousin afin qu’il règle ses multiples dettes ou/et si c’est pour venir en aide aux déshérités de la vie que personne ne souhaite aider, comme il l’explique à l’inspection du travail en début de film.
Mais, sans faire de hiérarchie narrative, en épousant avec passion les pistes qui composent le récit, l’un dans l’autre, les genres se mélangent et s’agrippent pour ne plus se relâcher : film douloureux qui se veut être une introspection quasi documentariste dans le quotidien aux multiples zones d’ombre de médecins, sous staffés, précarisés, vidés et étranglés par la charge de travail, qui font face aux désarrois d’une bonne partie de la société, tout en étant également un tenace film de genre qui s’approprie les codes du film noir avec une femme fatale, figure du fantasme d’un avenir sans soucis (sublime et énigmatique Sara Giraudeau), et règlement de compte sanguinolents avec des dealers toujours plus demandeurs.
Aride et souvent tumultueuse, l’œuvre se déroule lors d’une unique soirée aux teintes bleutées presque « Manienne » où tout va être chamboulé et où Mikael va devoir prendre les rênes de sa vie. Avec cette urgence constante, cette sensation de chute qui ne s’arrête jamais, ces choix qui s’avèrent foireux les uns après les autres, cette tragédie familiale, ces nuits entrecoupées de fêtes et de cavalcades face à la mort, avec ces hommes et femmes au bord de la rupture, où même cette violence va devoir inévitablement s’échapper, on pense irrémédiablement au cinéma tentaculaire et claustrophobe des frères Safdie, que cela soit Good Time ou même Uncut Gems.
Elie Wajeman n’a peut être pas la science formelle des deux frères, mais s’illustre tout de même par la mise en place d’une ambiance qui ne cesse de monter en tension et dont la portée dramatique s’intensifie de minute en minute : le film nous passionne par ses vagabondages et cette virée dans un Paris qui ne reste jamais immobile, terrassant de tristesse et qui voit s’effondrer ses certitudes. Ce mélange des genres, comme indiqué, pourrait nuire au film et desservir le regard social ou sociétal porté par la caméra. Pourtant, tout s’emboite à merveille, à la fois grâce à un scénario qui cumule parfaitement ses moments de respirations (que cela soit chez des patients ou les spectateurs) avec ses instants plus viscéraux où Vincent Macaigne s’avère d’une violence insoupçonnée.
Ce dernier, étant la véritable force centrifuge du film, impressionnant d’émotion, dans un rôle qui dénote avec ce qu’il a l’habitude d’incarner : tout tourne autour de lui, sa fragilité émotionnelle, son regard fatigué, son envie de sortir la tête de l’eau, sa violence épidermique et son physique aussi doux qu’imposant qui rappelle Joaquin Phoenix dans A Beautiful Day de Lynne Ramsay. Avec son format court, qui lui permet de resserrer chaque enjeu, et de se débarrasser de tout forme de « gras », cette course poursuite face à l’inévitable est sèche comme un coup de trique et nous happe jusqu’à ces derniers instants. Un brillant exercice de style.
Article original sur LeMagducine